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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

voyons à l’Institut plus d’un académicien qui n’a pas fait de meilleures traductions, et ne ferait pas d’aussi bons commentaires. Du reste, M. Henri Martin n’est pas le seul qui représente en province l’érudition philosophique française, et nous venge des impitoyables improvisateurs de la capitale. Un collègue de M. Martin à la faculté des lettres de Rennes, M. Riaux, l’éditeur des Niebelungen, a publié sur Parménide un travail plein de recherches consciencieuses. À Caen, tandis que M. Berger nous donnait une exposition du système de Proclus, à laquelle il ne manque que plus d’étendue pour être un livre de la plus haute importance, un homme de talent et d’avenir, M. Émile Saisset, retrouvait toute la doctrine sceptique d’Énésidème, et en écrivait une réfutation pleine de verve et de logique. Quelques autres mémoires n’ont pas également réussi ; mais ils sont tous conçus dans un bon esprit de critique. On remonte aux sources ; on les discute. C’est de l’érudition saine au lieu de ces citations de troisième main dont on fait ailleurs un si ridicule étalage.

Nous ne parlerons des traductions d’ouvrages modernes que pour montrer qu’il y a là une mine féconde à exploiter ; que les professeurs, par exemple, ne pourraient mieux employer leurs veilles qu’à doter le pays de toutes ces richesses, en même temps qu’ils s’exerceraient eux-mêmes à penser et à écrire, et se prépareraient ainsi à des travaux d’un autre ordre. De tous les pays de l’Europe, celui où l’on cultive la philosophie avec le plus de zèle, c’est l’Allemagne, et la philosophie allemande est à peine connue en France. Elle y a pourtant des enthousiastes et des adversaires, mais on en juge le plus souvent sur parole. Depuis le livre de Mme de Staël, qui vint presque nous la révéler, on en a fait des expositions et des critiques ; peut-être des traductions vaudraient-elles mieux. M. Tissot, de Dijon, qui a composé la meilleure histoire abrégée de la philosophie allemande, s’est chargé presque seul d’en traduire les ouvrages les plus importans. Nous lui devons une traduction de l’excellente Histoire de la Philosophie ancienne de Henri Ritter, et de la plupart des ouvrages de Kant. Il nous a donné, du philosophe de Kœnigsberg, la Critique de la raison pure, les Principes métaphysiques du Droit, les Principes métaphysiques de la Morale, la Logique[1]. Malheureusement ces traductions, qui pourraient lui faire tant d’honneur, ne sont pas irréprochables. Écrites avec une précipitation sans exemple, chargées d’inexactitudes, de phrases mal construites et inintelligibles, de bar-

  1. Paris, chez Ladrange