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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

onction naïve et de bonne foi, qu’on trouve rarement dans le mysticisme de seconde main. C’est réussi comme une vignette d’Overbeck, et, si l’on a pu dire avec raison qu’André Chénier avait ravi une abeille à Moschus, nous dirions, dans le même sens, que Justin Kerner a pris un lis au légendaire doré du moyen-âge.

Romantique et Souabe, Kerner ne pouvait manquer de célébrer les Hohenstaufen. Il les voit la nuit, au clair de lune, dans de fantastiques hallucinations dignes d’Ossian. Alors une lueur étrange inonde la montagne historique où leurs spectres gigantesques se promènent. Une architecture de nuées imite la vieille citadelle ; tout revit et s’émeut comme jadis. Écoutez ces musiques de harpes, ces fanfares belliqueuses, qui descendent jusque dans la vallée : c’est Barberousse à cheval dans son armure de fer ; c’est Irène et Philippe rêvant sous les tilleuls en fleurs, aux douces chansons d’un rossignol venu du beau pays de Grèce ; c’est Konradin, pâle et taciturne. Puis, tout à coup, le coq chante ; héros et citadelle s’évanouissent ; le roc demeure triste et nu, et le poète songe à l’Allemagne. — Mais où le bourgeois souabe se manifeste dans toute sa loyale franchise, dans toute la bonhomie d’un patriotisme sans jactance, c’est dans le petit poème du Prince le plus riche, d’une si naturelle inspiration, et qui, pour le naïf et le gothique, égale, s’il ne le dépasse, le Roi de Thulé de Goethe :

« Un jour, à Worms, dans la salle impériale, étaient assis plusieurs princes d’Allemagne, exaltant en belles paroles la valeur et le nombre de leur pays.

« — Splendide est mon pays et sa puissance, disait le prince de Saxe ; ses montagnes couvent l’argent dans plus d’une mine profonde.

« — Voyez mes états dans leur luxuriante abondance, disait l’électeur du Rhin ; des moissons d’or dans les vallées, un noble vin sur les montagnes.

« — Grandes cités, riches cloîtres, disait Louis de Bavière, font que mon pays au vôtre ne le cède pas en trésors.

« Eberhard à la longue barbe, maître chéri du Wurtemberg, dit alors : — Mon royaume a de petites villes et ne porte pas des montagnes grosses d’argent, mais le joyau qui s’y cache, et que j’estime, c’est que, dans mes forêts, moi si grand, je puis confier ma tête au soin de chacun de mes sujets.

« Et le prince de Saxe, celui de Bavière et celui du Rhin, de s’écrier : — Comte à la longue barbe, vous êtes le plus riche d’entre nous, et votre pays porte le diamant. »

Dans un autre genre de romantisme, le romantisme humoristique de Jean Paul, qui se retrouve aussi dans ses vers, Kerner continue