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de nos terrestres horizons. Eh quoi ! vous avez passé par l’initiation de la mort, vous revenez d’Uranus ou de Saturne, et vous n’avez rien de mieux à nous dire, et vous ne savez que répéter les gestes et les manœuvres en usage depuis six mille ans sur cette terre d’épreuves et de misères, d’où l’ame veut bien s’enfuir, mais dans une tout autre espérance que celle de retrouver chez vous tout ce qui se passe de ce côté.

Chez le poète, cette incompatibilité, ce contraste des acteurs et de la scène, ce choc bizarre d’élémens qui se heurtent et se contredisent pourra bien agir d’une façon plaisante et provoquer çà et là des velléités humoristiques. Ne serait-il pas nouveau, en effet, de nous représenter une fois ce monde d’esprits sous son point de vue critique ? Ne trouverait-on pas plus d’un incident burlesque, plus d’un contraste curieux, dans cet amalgame du fini et de l’infini, dans cette association impossible des contraires ? Évoquer avec un certain esprit d’analyse, mais en poète et sans trop de philosophisme, à la manière de Jean-Paul plutôt que de Voltaire, évoquer cette multitude surnaturelle, lui ôter, mais légèrement, ce qu’on lui supposait d’originalité ; nous montrer ce monde dans ce qu’il a d’insuffisant, de pauvre, de borné : il y aurait là, selon nous, le sujet d’un charmant poème. Mais, pour le faire, il faudrait un génie excellent, une inspiration impartiale, si jamais les deux mots pouvaient s’accorder ensemble, quelque chose qui ne fût ni la sécheresse des encyclopédistes, ni le mysticisme nuageux des Allemands ; une imagination bâtissant dans l’air ses fantaisies, mais ayant ses assises sur la terre, Goethe peut-être. Kerner, esprit transcendant, romantique par essence, devait n’avoir qu’ironie et persiflage pour un pareil compromis. Malheureusement, aujourd’hui comme pendant la période des Reiseschatten, l’ironie chez lui n’a plus sa source dans la conscience d’un infini vaguement pressenti. L’infini a laissé voir son contenu ; il a vidé son sac, pour nous servir d’une expression populaire, mais énergique, et le sac renfermait plus d’une misère qui n’a pas échappé aux brocards du poète lui-même. « Je le soupçonne d’être, sur plus d’un point, sujet à la critique, » s’écrie dans Faust le philosophe Thalès en voyant voltiger Homunculus dans sa fiole de verre. Kerner, j’imagine, a plus d’une fois eu la même idée de ses fantômes. Eux aussi, sans aucun doute, il les a trouvé sujets à la critique. Mais était-ce bien à lui de le dire ? N’en résulte-t-il pas, dans son œuvre, une certaine confusion ? Le trait manque son but, faute d’un point d’appui ; la critique, n’ayant où s’étayer, perd son impression ; je n’en veux