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ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS.

yeux : chaque scène était un groupe, un tableau qui, en attachant les regards, s’expliquait presque de lui-même à l’esprit sans le secours des paroles. »

On voit dans ce passage, très habilement écrit d’ailleurs, tout l’embarras que l’auteur éprouve pour prendre parti entre deux systèmes qui se contredisent et s’excluent. M. Patin ne nie pas, assurément, l’usage des masques et des cothurnes, non plus qu’une certaine exagération de toutes les proportions de l’acteur, réclamée surtout, suivant lui, par le besoin de la perspective théâtrale ; mais, dans son désir de justifier, même en l’appliquant à la représentation extérieure, la trop fameuse comparaison que Guillaume Schlegel a faite de la tragédie d’Athènes et de la statuaire attique (lesquelles n’ont, en réalité, rien de commun que leur mutuelle perfection), M. Patin écarte et récuse tout d’abord les curieux renseignemens que nous ont laissés sur le costume théâtral Lucien et Philostrate, alléguant contre le premier son penchant bien connu pour la caricature et la satire, et ne songeant pas assez que cette fin de non-recevoir ne peut pas être opposée au second, dont ainsi le témoignage demeure intact. Mais, alors même qu’on ne tiendrait, comme le veut M. Patin, aucun compte de ces deux auteurs, ne nous reste-t-il pas, sur le costume de la tragédie antique, un grand nombre d’autres documens ? N’avons-nous pas Aristophane et son scholiaste, Pollux, Athénée, le pseudo-saint Justin, saint Chrysostôme ? N’avons-nous pas Cicéron, Sénèque, Pline, Aulu-Gelle, saint Isidore ? Ne possédons-nous pas, de plus, de nombreux monumens, de la technique et de la plastique antiques, d’une fidélité et d’une authenticité irrécusables ? des mosaïques publiées par MM. Millin et de Laborde, des peintures provenant d’Herculanum et de Pompéï, des pierres gravées décrites par Winckelmann, des médailles, des figurines de bronze, des bas-reliefs, ornemens et richesses de nos musées ? Ne peut-on pas raisonnablement espérer, en étudiant ces monumens et en les rapprochant des textes, de retrouver, avec un assez haut degré de certitude, la vérité du costume théâtral antique ? Je regrette extrêmement, pour ma part, qu’au lieu de la page élégante, mais trop indécise que j’ai citée, M. Patin ne se soit pas proposé de résoudre, comme il était si en mesure de le faire, ce difficile et intéressant problème.

L’erreur de Guillaume Schlegel, que M. Patin a un peu affaiblie, mais qu’il n’a pas suffisamment corrigée, c’est de supposer que les scènes de l’histoire héroïque, réprésentées sur les vases grecs, peu-