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LETTRES DE CHINE.

Chusan avait été évacuée par les troupes anglaises le 24 février ; les prisonniers de Ning-po avaient été relâchés, et un de nos missionnaires, M. Taillandier, pris quelque temps auparavant dans la rivière de Canton, lorsqu’il tentait de pénétrer dans l’intérieur de la Chine, avait été mis en liberté, sur la demande de M. Elliot. C’est pour nous un devoir de payer ici au plénipotentiaire un tribut de reconnaissance pour cette généreuse intervention, qui sauva la vie à un de nos compatriotes. Dans plus d’une circonstance semblable, M. Elliot a montré la noblesse de son caractère ; jamais il n’a été sourd aux plaintes des malheureux, qui, pour lui, n’ont pas de nation. Homme libéral et éclairé, il a constamment favorisé la cause de la civilisation, quelle que fût la voix qui la plaidait. Nos missionnaires, si modestes, si humbles, si grands quelquefois dans leur humilité, ont toujours trouvé en lui la protection la plus bienveillante. Moi-même j’ai eu l’honneur d’être admis dans l’intimité de M. Elliot, et si, dans le cours de cette narration, la voix de ma conscience m’a forcé de blâmer quelques-uns de ses actes, je suis heureux de trouver ici l’occasion de vous faire connaître le capitaine Elliot tel qu’il est, c’est-à-dire comme un homme qui joint à une grande générosité naturelle un esprit élevé, une grande vivacité d’imagination et une intégrité irréprochable. Soyez certain, monsieur, qu’un jour on lui rendra justice. J’espère que le gouvernement anglais saura reconnaître tout ce que M. Elliot a fait dans cette immense question chinoise, qu’il a eu, du moins, le mérite de tirer du chaos. L’expérience même de ses fautes sera utile au successeur qu’on vient de lui donner ; celui-ci ne rencontrera peut-être pas les obstacles que M. Elliot a trouvés sur ses pas, quelque difficile, quelque dangereuse que soit encore la route qui s’ouvre devant lui.

L’absence du nom de Keschen dans la transaction de Canton doit aussi vous surprendre, monsieur. Qu’était devenu le commissaire impérial ? La conduite de Keschen avait été hautement désapprouvée à Pékin. « Quoi ! disait l’empereur, parce que la ville de Canton est une ville importante, qu’elle est habitée par une nombreuse population, parce qu’elle contient des greniers de riz, Keschen a cru devoir recourir à des expédiens temporaires ; il a accédé aux trompeuses demandes des Anglais, et aujourd’hui les rebelles ne sont pas encore enveloppés et exterminés ! » L’empereur nomma pour son généralissime Yischan, avec le titre de grand pacificateur des rebelles. « Allez, dit-il, hâtez-vous. Attaquez et exterminez. » Lungwan, un général tartare, et Yang-fan, un des gardiens du prince furent nommés, sous lui, commissaires impériaux ; ils durent arriver à Canton vers la fin de février. Keschen était rappelé à Pékin pour rendre compte de sa conduite. « Keschen, ajoutait l’empereur, n’a pas su se pénétrer des véritables principes de la justice, et il n’a pas repoussé avec mépris les absurdes prétentions des Anglais. Au contraire, il s’est soumis aux insultes de ces barbares. Plus d’une fois je lui ai fait défense de recevoir des lettres des rebelles, et il ose aujourd’hui me transmettre une supplique en leur faveur ! Quels peuvent être les motifs d’une semblable conduite ? — Dans ce document, l’empereur s’élève avec indigna-