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La convention de Canton fut le dernier acte du capitaine Elliot ; ce fut aussi le dernier effort de la première expédition. M. Elliot sembla considérer le rançonnement de Canton comme l’exécution virtuelle du traité du 20 janvier, exécution un peu forcée, il est vrai, mais enfin la lettre était observée. La gazette officielle d’Hong-kong publia un avis du plénipotentiaire, par lequel il annonçait aux étrangers que, la guerre avec la Chine étant avantageusement terminée, on procéderait, le 18 juin, à la vente des divers lots de terrain. Ainsi, par cette déclaration, le plénipotentiaire prenait plus solennellement que jamais possession de l’île d’Hong-kong. Les six millions de piastres stipulés étaient payés, et les autorités chinoises s’étaient vues forcées de recevoir, un peu clandestinement il faut le dire, les autorités anglaises sur le pied d’égalité. Il est vrai que chacun donnait, de son côté, une interprétation différente des évènemens qui venaient de se passer. Le départ des navires anglais fut suivi d’un cri de triomphe poussé par les Chinois. L’empereur ne sut rien de la défaite de ses bonnes troupes tartares. Les six millions payés furent représentés plutôt comme un acte de commisération que comme une condition dictée par la victoire. Les Chinois avaient beau jeu à montrer les choses sous ce point de vue ; l’évacuation de la rivière par l’escadre anglaise parlait pour eux, et ce triomphe dut être naturellement attribué aux invincibles armes de l’empire.

Ainsi, après avoir, pendant un séjour de sept mois dans la rivière de Canton, détruit de fond en comble tous les forts qui la défendaient, à l’exception de celui de Wang-tung ; après avoir fait couler des flots de sang, après avoir eu, malgré la présence d’une armée tartare, la seconde ville de l’empire sous la main, l’expédition anglaise s’arrêta comme fatiguée de l’effort. La transaction de Canton dut avoir pour résultat de relever le courage du cabinet de Pékin.

Je n’ajouterai plus qu’un mot, monsieur : en terminant cette lettre déjà si longue, j’éprouve le besoin d’insister sur les véritables causes de toutes ces péripéties qui vous auront surpris et vous surprendront encore dans le récit du drame que nous suivons avec tant d’intérêt. Je vous ai déjà dit que les bases de la question anglo-chinoise sont dorénavant changées ; ce n’est plus la réparation d’une insulte que l’Angleterre demande à la Chine : c’est un nouveau monde dont elle veut faire la conquête commerciale ; elle sent que c’est là désormais qu’elle trouvera les élémens de force et de vitalité qu’elle est condamnée à chercher partout en dehors d’elle-même, fatale nécessité dont les conséquences commencent déjà à frapper l’attention des peuples. Cependant, même en faisant jouer tous les ressorts de sa puissance pour atteindre ce but, l’Angleterre ne peut perdre de vue les avantages qu’elle retirait naguère de son immense commerce avec la Chine, avantages dont sa situation actuelle lui fait plus que jamais une nécessité. L’affaire de Chine doit donc se présenter pour elle sous deux points de vue différens : celui de l’avenir et celui du présent. C’est pour hâter la solution de la question d’avenir que l’Angleterre ne recule devant aucun sacrifice, qu’elle dégarnit l’Inde de