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Marguerite descendait directement de Charles V ; elle était arrière-petite-fille du second fils de ce prince, le duc d’Orléans assassiné par les ordres du duc de Bourgogne. On aime à suivre (et ce serait certainement un sujet d’observation intéressante pour l’anthropologie), on aime à suivre les personnages remarquables dans leurs ascendans et leurs descendans ; les familles royales et quelques autres seulement permettent ces observations, attendu que les personnes qui les composent sont plus connues physiquement et moralement. Le duc d’Orléans, qui, pris à la bataille d’Azincourt, demeura captif en Angleterre pendant plus de trente ans, et qui composa des poésies non encore oubliées, était le grand-oncle de Marguerite. Les d’Orléans-Valois, montés sur le trône avec Louis XII, en descendirent avec Henri III, et le dernier d’entre eux mourut assassiné comme le premier. Le moine fanatique et le prince assassin, le chef et le dernier rejeton de la branche des Valois-Orléans, rapprochés ainsi par l’histoire dans une destinée commune, offrent à l’esprit saisi un lugubre tableau.

Charles V, par ses deux fils, vint aboutir d’une part à Charles VIII et d’autre part à Henri III. Ce prince ne fut pas sans influence sur sa race ; peut-être tint-elle de lui cette faiblesse qui éteignit si vite la branche directe, et un peu plus tard la branche cadette, malgré les espérances brillantes que donnaient les quatre jeunes gens laissés par Henri II. Toujours est-il qu’avant lui brutaux, et sans autres goûts que ceux du guerrier féodal, les Valois deviennent après lui des hommes intelligens, souvent amateurs de la littérature, quelquefois même la cultivant. Marguerite occupe un rang distingué parmi cette seconde série des Valois, et le XVIe siècle admira le style de ses Nouvelles.

À mon sens, M. Génin donne une excellente appréciation du style de Marguerite : « Si la piété d’éditeur ne m’abuse, dit-il, ce style ne sera pas trouvé au-dessous de la réputation traditionnelle de l’auteur, à condition toutefois qu’on n’y cherchera pas les qualités des bons écrivains modernes. Il faut se souvenir que la reine de Navarre écrivait dans la première moitié du XVIe siècle, et que, même du XVIIe à la fin du XVIIIe, il s’est opéré dans le style une révolution complète dont Voltaire a été le principal auteur… Au XVIe siècle, la langue n’était nullement constituée ; c’était une matière molle, diverse, incertaine, se laissant complaisamment pétrir au génie de chaque écrivain, reproduisant dans ses moindres détails et conservant à une grande profondeur l’empreinte de chaque originalité.