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On était venu entendre par charité l’œuvre de Beethoven, entendre surtout ces malheureux choristes, les héros de la fête, et sur lesquels se portait un intérêt mêlé de compassion. Pauvres gens, ils ont accompli leur tâche courageusement jusqu’au bout, et lorsque, dans le finale du premier acte, ils représentaient ces prisonniers amaigris par le jeûne et les souffrances, on ne se doutait peut-être pas dans la salle d’où leur venait une expression si vraie. N’importe ; jamais l’hymne de liberté qui couronne l’œuvre du grand musicien de Bonn ne fut dit avec plus d’enthousiasme, jamais cet élan sublime : O Freiheit ! Freiheit ! ne fut rendu avec une plus chaleureuse inspiration, un plus sympathique délire. On ne calcule pas toutes les misères auxquelles sont en butte aujourd’hui ces quatre-vingts jeunes gens, hommes et femmes, qui partaient il y a trois mois de Mayence, de Darmstadt et de toutes ces jolies résidences des bords du Rhin, pour s’acheminer vers Paris, l’espoir dans le cœur, la chanson sur les lèvres, et se groupaient en caravane sous la direction musicale de l’un des élèves les plus intelligens de Spohr. À peine arrivés ici, la détresse les y attendait, et les voilà maintenant qui s’en retournent à pied, le sac au dos, mendiant peut-être sur la route le pain de chaque jour. Heureux encore ceux qui s’en retournent, car le malheur a si cruellement décimé ce petit groupe, que tous ne reverront pas le Rhin chéri ! Il y en a qui restent à l’hôpital, d’autres que la prison retient. Le public de Paris a fait son devoir en se rendant à l’appel de ces pauvres victimes d’une administration imprévoyante. Espérons que les légations allemandes s’empresseront de venir à leur secours, et ne laisseront pas sans appui de malheureux artistes qui s’étaient mis sous la protection des génies et des chefs-d’œuvre dont la patrie commune se fait gloire.


H. W.