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ses devoirs et le sens commun, non-seulement on aurait rendu service à la morale publique en faisant connaître une telle extravagance ; mais cette révélation eût été un véritable bienfait rendu à l’Université, qui se serait, à coup sûr, empressée de le reconnaître.

Ces discussions, dont on aurait tort de s’exagérer la gravité, nous ont appris que M. Gatien-Arnoult faisait son cours sur M. de La Mennais, et M. Ferrari sur Platon et Aristote. De tels sujets de cours ne me semblent pas parfaitement choisis. Il n’y a, dans les facultés de province, qu’une seule chaire de philosophie ; il importe que le professeur consulte, non pas ses convenances personnelles, ni même le goût et les sympathies de son auditoire, mais les besoins de la ville et de la province qu’il habite. Il y a presque partout des traditions qu’il importe de remettre en honneur ; prenons pour exemple Strasbourg. Strasbourg, Montpellier et Rennes sont, par leur position et par leur histoire, nos trois grandes villes scientifiques. Strasbourg est la patrie de Tauler, le philosophe mystique du XIVe siècle. Le professeur de philosophie a là, sous la main, une bibliothèque de cent quarante mille volumes, où sont conservés des manuscrits de Tauler, de Hugues de Saint-Victor et de Gerson. C’est son patrimoine. Voilà une mine féconde pour son enseignement et pour ses travaux. S’il préfère à l’histoire la philosophie spéculative, il a devant lui l’Allemagne. Qui peut être mieux que lui au courant de la philosophie allemande ? Qu’il l’expose et la discute devant son auditoire, et qu’il nous la fasse connaître ensuite dans ses livres ; qu’il juge l’Allemagne avec l’esprit français. Il y a dans Strasbourg même des institutions d’origine allemande, le gymnase protestant, le séminaire protestant, dont les cours sont publics. La ville est pleine d’hommes instruits qui s’intéressent également à la littérature de l’Allemagne et à celle de la France : M. Delcasso, M. Rauter, le professeur de droit ; M. Colin, le traducteur de Pindare ; M. Lehr, qui vient de traduire les poésies de Pfeffel. M. Willm prépare en ce moment une histoire de la philosophie allemande. Avec un tel entourage et de tels secours, dans cette position entre la France et l’Allemagne, la route du professeur de philosophie est toute tracée.

Lyon est aussi une ville mystique. Gerson y voulut mourir, Saint-Martin y fonda son école ; mais Lyon est une seconde capitale, et appartient au mouvement général de la France. La ville littéraire, la reine poétique du Midi, c’est Toulouse. Le peuple de Toulouse est passionné pour sa ville, pour sa poésie, pour sa religion, et ne sépare pas de son orgueil national son attachement à ses croyances.