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que ces moyens de répression fussent efficaces, et qu’en attendant, il fallait agir auprès des autres puissances pour les déterminer à adhérer aux conventions précitées.

Empressons-nous de le reconnaître, en écrivant la dépêche du 12 février 1838, M. Molé ne se mettait point en contradiction avec ses antécédens et avec les opinions qu’il avait manifestées sous la restauration au sujet du droit de visite. Ce n’est pas se contredire que d’accepter des faits accomplis, des faits que les circonstances expliquaient, et contre lesquels nul ne réclamait alors.

Mais laissons de côté les personnes et toute cette polémique qui plaît à l’esprit de parti et l’alimente, et pour laquelle nous n’avons aucun goût. Quand on se place au-dessus des intérêts personnels et des passions du jour, on comprend sans peine toutes les phases par lesquelles a passé, chez nous, la question du droit de visite, et on arrive à cette conclusion que les circonstances ont influé plus que les hommes sur les résolutions successives et diverses du gouvernement français.

Avant 1830, la France n’avait pas de relations intimes et particulières avec la Grande-Bretagne. Si l’Angleterre avait des rapports de bon voisinage avec la France, elle n’en était pas l’alliée, encore moins la seule alliée parmi les puissances de premier ordre. La France se rappelait les prétentions de l’Angleterre à la domination des mers ; les luttes de l’Angleterre avec les États-Unis, au sujet du droit de visite, étaient toutes récentes ; les rivalités nationales étaient plutôt inactives qu’oubliées, et, bien que le gouvernement français et le gouvernement anglais fussent fondés sur des institutions analogues, les tendances en étaient diverses. La guerre d’Espagne de 1823, et le célèbre toast de M. Canning, avaient appris au monde que, sous des formes constitutionnelles, se cachaient, dans les deux pays, des principes divers et des tendances opposées.

Dès-lors rien de plus naturel et en même temps de plus sensé que le refus de toutes les propositions du gouvernement anglais, pour établir un droit conventionnel et réciproque de visite contre les négriers. M. Molé, M. Pasquier, M. de Châteaubriand, agissaient en hommes éclairés et prévoyans. Il était évident, en effet, que ce droit une fois admis dans les traités, il pouvait devenir une source de difficultés inextricables contre les deux pays. D’ailleurs la restauration, par son origine, était tenue à une grande réserve dans ses négociations. Il ne fallait pas donner à croire qu’en signant un traité, elle acquittait une dette personnelle ; on n’aurait pas manqué d’affirmer que ce droit, bien que réciproque, n’était qu’une concession faite à l’étranger.

La révolution de 1830, cette révolution inspirée par le droit et contenue par une admirable sagesse, s’accomplit ; une dynastie nouvelle est fondée. L’Europe s’étonne au réveil de cette France dont elle avait conservé de si grands et de si terribles souvenirs. Bientôt les peuples applaudissent, et leurs gouvernemens s’alarment. Mais aucun peuple ne salua la révolution de 1830 d’applaudissemens plus éclatans, plus sincères, plus unanimes que le peuple anglais, et son gouvernement, au lieu de s’alarmer, s’empressa de tendre la