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REVUE DES DEUX MONDES.

À Rennes, le professeur de philosophie peut choisir entre Descartes et Abélard. S’il veut faire connaître les vrais principes de la philosophie moderne, qu’il commente les ouvrages de celui qui en fut le père ; qu’il poursuive l’histoire de cette révolution, accomplie d’abord dans les idées pour passer ensuite dans les institutions et dans les mœurs ; qu’il raconte la grande ingratitude dont fut payée la gloire que Descartes faisait rejaillir sur le pays ; ses amis et sa doctrine persécutée ; lui-même allant mourir à Stockholm comme en exil ; ses os rapportés en France après un intervalle d’un siècle, et les honneurs que l’Académie voulait rendre à cette illustre mémoire entravés par l’autorité royale ; qu’il tire de ces efforts impuissans une leçon de tolérance philosophique, et de nouveaux motifs pour se tenir affermi dans une doctrine à laquelle se rattache étroitement la cause de la civilisation et de la liberté. S’il veut remonter plus haut et renouveler de plus anciens souvenirs, qu’il évoque le nom d’Abélard, si populaire dans toute la France, et que la Bretagne connaît à peine. Abélard, c’est toute l’histoire de la scholastique. Dans ce pays profondément religieux, ni les secours en livres et en manuscrits, ni l’intérêt et le zèle des hommes instruits ne lui feront défaut. Les chapitres ont conservé les richesses des anciennes bibliothèques. Les questions théologiques y sont discutées avec une ardeur digne des anciens temps, dans le langage d’Abélard et de Hervé, et dans les formes de l’école. Les religieuses qui occupent l’abbaye de Saint-Gildas, encore debout sur la crête d’un rocher au bord de la mer, ne savent plus qu’Abélard en a été le chef. La Bretagne ignorante a besoin d’être éclairée et civilisée ; seulement il faut la civiliser sans porter atteinte à son caractère national. Il n’y a qu’à s’inspirer du génie de cette noble et pauvre terre, raviver les traditions, et maintenir le présent à la hauteur du passé. On peut attendre beaucoup de la Bretagne : c’est la patrie de Pélage, d’Abélard et de Descartes.

Pendant que de tous côtés on fait appel au génie original de nos provinces, la société des antiquaires de Normandie entrant tout-à-fait dans la voie qu’il faut suivre pour servir utilement les études philosophiques, propose pour sujet de prix de faire l’histoire de la philosophie en Normandie au XIe siècle, c’est-à-dire d’exposer la doctrine des deux grands docteurs de l’abbaye du Bec, Lanfranc de Pavie et saint Anselme.

Pour que les doctrines philosophiques se répandent et élèvent peu à peu le niveau des idées dans toute la France, il faut que ce mouvement et cette activité s’accroissent et se développent encore. Il le faut