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de luxe dans les villes bulgares que dans les cités turques ; les choses nécessaires à la vie y sont, en revanche, plus abondantes. Les troupeaux se promènent dans les rues, les chèvres broutent l’herbe des places, les magasins de comestibles offrent une prodigieuse quantité de fruits, tandis que les boutiques d’armuriers, qui font d’ordinaire en Orient l’honneur des bazars, sont en très petit nombre et peu fréquentées. Chaque grande ville bulgare a aussi son horloge placée dans une tour, et qui sonne les heures, mais à la turque. Toute construction d’époque récente est en bois ; dans les monumens publics, l’ancienne splendeur ottomane a été remplacée par la plus extrême mesquinerie. La plupart de ces villes, comme Sofia, Vidin, Ternov, Philibé, n’ont plus à leur entrée que de grossiers portails à solives posées de travers, et qui feraient croire au voyageur qu’il met le pied dans une métairie ravagée. Telles sont les villes que le Bulgare a bâties, qu’il approvisionne, et où il forme encore la majorité de la population ; mais, depuis trois siècles et demi, il ne peut plus y entrer qu’en descendant de cheval, et c’est à pied seulement qu’il passe devant les sentinelles turques ; tout au plus, s’il est riche et très considéré, a-t-il le droit de traverser les rues monté sur un âne.

II.

Si formidable à l’entrée du moyen-âge par ses tendances belliqueuses, par sa richesse et son activité commerciales, alors que l’ambitieuse race tatare occupait le trône national, le peuple bulgare est aujourd’hui le moins enclin au luxe et le plus pacifique peut-être qu’il y ait en Europe. Tous ceux qui connaissent le Bulgare actuel n’ont qu’une voix pour louer ses paisibles vertus. Empressé à rendre service, assidu au travail et d’une tempérance extrême, il n’agit qu’avec circonspection ; mais, une fois décidé, il porte dans ses entreprises une persévérance prodigieuse, qui, soutenue par une force athlétique, lui fait braver de sang-froid et sans jactance les plus grands périls. Bien qu’il soit le plus opprimé des cinq peuples de la péninsule, la misère ne l’a point avili ; aujourd’hui comme autrefois, son regard est fier, sa taille haute et belle, son honneur à toute épreuve ; on peut en pleine sécurité lui confier sans témoins les plus grosses sommes d’argent ; il les portera fidèlement à leur destination. On l’accuse de trembler devant le Turc : le Bulgare ne tremble point ; mais, quand toute résistance est impossible, il sait, comme tout homme raisonnable, se soumettre en silence à la force.