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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

cette déclaration, je les voyais baisser tristement la tête, et ils ne disaient plus mot. Je n’arrivai que bien tard, et après plus d’une semblable expérience, à comprendre que, dans leur esprit, le nom de Bulgare désigne toutes les nations chrétiennes, par opposition aux mations musulmanes.

III.

Chaque peuple oriental a son fleuve sacré, sur les rives duquel il s’étend ; ce fleuve sert de ligne centrale au pays qu’il occupe. C’est ainsi que les colonies bulgares ont lentement suivi le cours de la Maritsa, la rivière la plus considérable de la Turquie européenne, du plus long cours après le Vardar macédonien, et qui, se jetant dans la mer Égée, indique à la nation ses alliances et ses débouchés naturels. Dirigeons-nous d’abord vers la Maritsa. On part de Constantinople avec un guide bulgare, seul, livré à la merci des haïdouks, qui barrent les défilés ; dix kavases (soldats de police turque) n’offriraient pas près de ces généreux brigands une sauvegarde plus sûre qu’un cicérone de leur race. À six lieues de la capitale de l’empire d’Orient, on rencontre une villette appelée Kambourgas, et on passe un pont d’une remarquable longueur, jeté hardiment sur un bras de mer. Presque toutes les villes de la côte ont de pareils monumens, dernières traces de l’ancienne richesse byzantine ; ces ponts, construits en blocs de granit, quelquefois en marbre blanc, sont rétablis en bois lorsqu’ils tombent. Il y a dans ce seul fait l’histoire de toutes les restaurations turques. Six lieues plus loin, un petit port, Silivria, dans sa population toute chrétienne de trois à quatre mille ames, compte déjà beaucoup de Bulgares. Ainsi, à quelques lieues de Stamboul, le doux et riche idiome slavon commence à frapper les oreilles. Silivria conserve une partie de sa vieille citadelle, quadrilatère crénelé, à remparts en pierres et en grosses briques rouges, habité par des juifs. À une lieue au-delà, on cherche les vestiges de la muraille élevée par l’empereur Anastase contre les incursions des anciens Bulgares. Rodosto avec ses quarante mille habitans, et Callipoli, où l’on en suppose trente mille, sont des villes toutes grecques ; mais Karakioï et Ruskoï offrent de nouveau des habitans slaves. Enfin, voici le golfe d’Énos, où se perd l’Hébrus à travers des marais qui paraissent lui avoir valu son nom moderne de Maritsa.

Maintenant remontons ce fleuve, qui doit nous mener jusqu’au cœur de la Bulgarie, jusqu’à sa montagne sainte, le Rilo. À Dimo-