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de verdure, un désert poétique, où l’on passerait volontiers des années parmi ces hommes simples, étudiant leurs mœurs, contemplant leurs danses antiques, et vivant avec eux de cette vie primitive perdue dans le reste de l’Europe. Cependant, si le voyageur qui traverse ces solitudes est ami du comfort, il fera bien de rester dans les villes. Là il, se dédommagera avec bonheur des privations de la campagne ; là tout lui paraîtra délicieux. Dans les villes tout abonde et au plus bas prix : cafés, bains chauds, fruits, liqueurs, jusqu’à ces mets sacrés de l’islamisme, lentement confits dans le sucre et le miel, et qu’un ange vint révéler à Abraham. On trouve encore mille autres denrées précieuses à la tcharchia, nom dérivé du slavon tcharchit (enchanter), qui désigne le bazar, et indique l’impression produite sur les indigènes par ce temple ouvert aux arts du luxe et à tous leurs produits magiques. Mais, du moment qu’on a quitté ces rares oasis pour se remettre en route, on est de nouveau réduit aux olives cuites, aux dattes, aux raisins secs, aux melons d’eau ; le vin et le raki seuls ne manquent chez aucun Bulgare.

Si l’on suit la route la plus directe de Stamboul à Philibé, principale ville de la Zagora, on a quatre-vingts lieues à franchir ; cet espace n’est qu’une vaste prairie peuplée presque uniquement de troupeaux ; de distance en distance, on y rencontre des puits où ces troupeaux s’abreuvent, et des huttes où se retirent leurs gardiens. Au milieu de cette prairie s’élève la grande Édrené (Andrinople), capitale de ce peuple de pasteurs, de cette Arabie européenne. Avant qu’on ait dépassé la populeuse cité, la nation bulgare n’est guère représentée sur les bords de son fleuve que par des pâtres et des mehandji, prétendus aubergistes, tenant à ferme les masures des spahis ; mais, si l’on fait encore quelques lieues le long de la Maritsa, on voit bientôt les joyeux villages slaves surgir au milieu de la tristesse du désert. Çà et là on rencontre encore quelques caravansérails impériaux, aux murs desquels s’adossent les rangées de boutiques en bois qui constituent en Bulgarie les petites villes marchandes (varochitsa). Ces monumens gigantesques d’une splendeur passée se ressemblent presque tous ; au centre est la mosquée, entourée de plusieurs cours carrées rafraîchies par des fontaines jaillissantes et ornées d’arcades à ogives mauresques. Derrière ces cours s’ouvrent les petites chambres où tous les voyageurs, giaours et fidèles, sont hébergés gratuitement. Parmi ces somptueux hôtels de l’islamisme, le plus considérable entre Édrené et Philibé est celui de Musta-Pacha, sa mosquée, de construction récente, environnée