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répandent, sinon comme colons, du moins comme travailleurs, — le long de la chaîne basse qui, détachée de l’Hémus sous le nom de Strandja, sépare le plateau intérieur de la Thrace des côtes de la mer Noire, et ne s’arrête que dans les forêts de Belgrad, devant Constantinople.

C’est au sortir d’Aïdos que se trouve le passage le plus commode pour traverser le Balkan et pénétrer de la Zagora dans la Bulgarie maritime et septentrionale. La ville d’Aïdos, renommée jadis par ses bains chauds et aujourd’hui déchue de sa prospérité, s’élève dans un bassin délicieux, entouré sur trois côtés de montagnes si abruptes, qu’on n’aperçoit nul moyen de les escalader ; ce n’est qu’en arrivant au pied de ce rempart, qu’on voit soudain, comme par un effet magique, s’ouvrir une fente profonde où se précipite le torrent de Bouyouk-Kamentsi (la rivière rocailleuse). Un sentier tortueux suit cette eau tourbillonnante à travers un des plus étranges ravins de l’Europe ; les deux parois de ce ravin sont perpendiculaires, elles ne laissent entrevoir qu’une bande étroite du ciel, et portent sur leurs cimes des forêts de sapins qui, vues d’en bas, paraissent des brins d’herbes. En suivant le ravin, il semble d’abord qu’on s’enfonce au sein de la terre ; ensuite on s’élève par degrés, et on atteint le joli plateau de Lopenitsa. Un hane situé en ce lieu indique la moitié du chemin d’ascension de ce Mont-Cenis bulgare. On y est entouré de cascades alpestres et de roches aux parois moussues ; on n’y trouve jamais de neige en été, mais, en revanche, on y est exposé à des avalanches de pierres.

À partir de Lopenitsa, on commence à descendre. La rivière de Bouyouk-Kamentsi, qui s’était perdue dans les cavernes, reparaît après avoir traversé souterrainement la montagne, et accompagne de nouveau le voyageur, en lui jetant l’écume de ses flots. Long de neuf lieues, ce défilé aboutit à un dernier balkan encore plus vertical, plus inaccessible que les précédens. Néanmoins l’armée de Darius l’avait déjà franchi, avant l’armée de l’empereur Nicolas, pour atteindre les Bosphores. La trace des Perses s’est effacée, tandis que les tranchées russes, dont toutes ces gorges sont semées, restent comme d’effrayans témoignages de l’audace des Normands modernes. Les villes gardent aussi l’empreinte de leurs horribles ravages : c’est ainsi que Hirsova est réduite à trente maisons, et le port de Kostendche à quarante habitans.

Sans cesser d’être au milieu des montagnes, on aperçoit tout à coup, à ses pieds, la grande ville de Choumla, et l’on voit s’ouvrir la