Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/918

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
912
REVUE DES DEUX MONDES.

tions, ils n’ont pas de plus grands ennemis de leur nationalité que leurs moines, qui exploitent en paix l’oppression du peuple et partagent avec les Turcs l’impôt du raya. La première mesure de régénération à provoquer serait donc la réforme du clergé et l’extirpation des honteuses simonies dont il est lui-même la victime, car les abus n’engraissent que les évêques ou les principaux couvens et ne profitent que très peu aux simples prêtres. La vente scandaleuse des sacremens ne suffit pas aux curés pour nourrir leurs familles[1], et ils sont forcés de suppléer à l’insuffisance de ce commerce en travaillant à la terre comme des paysans, ou en exerçant divers métiers. Malgré cet abaissement et son incroyable ignorance, le papas obtient du Bulgare un dévouement aveugle : aux jours qu’il indique comme des jours de jeûne, on ferait cent lieues dans les campagnes sans pouvoir trouver un verre de lait, offrît-on en retour des pièces d’or.

Les musulmans ne déguisèrent jamais le mépris que leur inspire le culte chrétien. Dans les endroits qu’habitent des Turcs, les réunions au temple ont lieu le plus secrètement possible, car les spahis se font souvent un jeu cruel de venir troubler la liturgie. Pour prier plus à l’aise aux grandes fêtes, et surtout à la Saint-George, la majeure partie de la population se transporte dans quelque monastyr des montagnes, isolé et de difficile accès, et elle reste durant trois jours campée sous ses murs. Les églises de villages sont ordinairement de misérables granges ou des cryptes obscures, à moitié enfouies sous terre ; d’anciennes cloches, fondues avant la conquête turque, sont cachées dans ces retraites, et on ne les montre qu’aux voyageurs amis. Il est absolument interdit de réparer tout couvent et toute église en danger de ruine, sans des bouiourdis ou permissions du divan, qui coûtent des sommes exorbitantes. Quand ils ne peuvent les payer, les rayas réparent leur temple en secret, aimant mieux s’exposer au plus atroce châtiment que le voir s’écrouler.

Les Bulgares ont successivement perdu les chartes et priviléges que la Porte leur avait octroyés pour faciliter sa prise de possession du pays ; aussi toute leur existence civile dépend aujourd’hui du bon plaisir des pachas et de l’humeur douce ou violente des gouverneurs de forteresses. On comprend que, d’un pachalik à l’autre, leur sort peut être très différent. Les Bulgares de la Romélie vivent aujourd’hui presque sur le pied d’égalité avec les Turcs auxquels ils se trouvent mêlés. Ils ne descendent plus humblement de cheval au

  1. En Bulgarie, comme dans tout l’Orient chrétien, les curés peuvent se marier.