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de Ternov, composée de l’élite de la nation, achevait d’ourdir ses plans, lorsque le vieux Hadji-Yordan, du village d’Elena, près de Ternov, voulut initier à la conspiration un de ses parens qui habitait le village : celui-ci, avant de signer, demanda à lire la liste des conjurés, et courut, aussitôt après l’avoir lue, faire sa dénonciation au pacha, qui la communiqua au sultan. Un Bulgare de Sofia, qui était protomaster ou kalfa-bachia, premier ingénieur dans les forteresses de Bulgarie, où il faisait travailler et soldait sur la caisse impériale deux mille rayas, noyau de l’armée insurrectionnelle, périt à la potence avec le vieux Hadji-Yordan et Iovanitsa, riche marchand de Ternov. Quant au traître qui les avait dénoncés, la Porte l’honora d’une récompense. L’un des plus ardens hétairistes, Antonio, tsintsar d’origine, didaskale de Ternov et auteur d’une grammaire grecque-bulgare, fut condamné aux galères, et amené dans le bagne de Stamboul, où l’ambassade russe obtint plus tard sa grace. Un Bulgare au service de cette ambassade n’avait pas peu contribué à exalter les esprits par la promesse de l’appui du czar ; il fut également saisi ; mais, s’étant échappé, il se réfugia à Stamboul à l’hôtel de l’ambassade russe, que l’on n’osa violer. Le reste des conjurés, amené devant les juges turcs, subit des tortures dont les suites coûtèrent la vie à plusieurs, notamment au vieux igoumène d’un petit couvent près de Ternov. Pressés par la question, ces malheureux dénoncèrent comme un de leurs complices le métropolitain octogénaire de Ternov, Hilarion ; le prélat, effrayé, protesta, les maudit et alla jusqu’à demander leur mort. Il est peu vraisemblable que ce vieux fanariote eût trempé dans un complot formé par la jeune génération du pays ; il paraîtrait plutôt que les accusés voulaient donner le change aux juges et sauver par leur déposition les vrais patriotes en chargeant les prélats étrangers à leur patrie.

Ces cruautés n’atteignirent qu’incomplètement leur but. Dans la même année (1838), une insurrection terrible et le siége de Jarkoï révélèrent l’existence d’un nouveau complot. Quelque éloignée qu’elle soit de Sofia, la forteresse de Jarkoï est une des clés de la capitale bulgare. Cette place fut tout à coup cernée par près de vingt mille hommes, accourus de deux ou trois cents villages, et qui, tout en se proclamant les plus fidèles sujets du sultan, déclarèrent à la garnison de Jarkoï qu’elle ne serait débloquée que quand on aurait remplacé par des lois fixes l’arbitraire dans les corvées et les impôts. Un knèze, ou capitaine serbe de cette frontière, alla avec une troupe de ses compatriotes aider les assiégeans, et leur promit, de la part