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venant russe, il ne ferait qu’accepter un nouvel esclavage, et l’esclavage aurait cette fois un caractère sacré, les chaînes seraient indissolubles. Aussi, recule-t-il chaque fois que l’occasion se présente pour lui de devenir sujet russe. Ils ont deviné, ces barbares, qu’il vaut mieux, pour la dignité morale de l’homme, être raya que moujik. Que de fois leurs staréchines m’ont dit en confidence : « Écoute ! si ton gouvernement t’envoie, et s’il a des plans de guerre, avoue-le-nous, car nous n’attendons rien de la Russie qu’un autre genre d’oppression. — Mon pays, répondais-je, est devenu un grand ami de la paix, mais il vous veut du bien, et désirerait savoir comment il pourrait contribuer à soulager votre sort. » Alors ils sortaient de leur flegme accoutumé et exposaient avec chaleur le plan de régénération que leur inspiraient, disaient-ils, les philosophes de l’Hellade. C’étaient des primes accordées par les localités à ceux de leurs membres qui se distingueraient par quelque talent spécial, la fondation de hautes écoles pour les enfans des riches, l’introduction chez eux de livres en leur langue, l’extension de leur industrie par l’établissement de quelques comptoirs en Occident, la vente assurée des produits de leurs champs par suite de contrats faits avec des maisons de commerce étrangères, l’érection dans leurs principales villes de caisses communales, que les Turcs s’engageraient à ne jamais piller, enfin l’envoi en Europe d’un certain nombre de jeunes Bulgares aux frais de la nation. Toutes ces mesures devaient être ratifiées et garanties par les ambassadeurs francs, que la Bulgarie aurait su intéresser à sa cause : car, ajoutaient-ils, tout actuellement vous est facile à vous autres en Turquie ; nos maîtres, dans l’espoir de prolonger par votre aide l’existence de leur empire, ne vous refuseront rien.

Il est certain que la France n’aurait que bien peu à faire pour secourir et s’attacher la nation bulgare. Trois services importans pourraient lui être rendus. Il faudrait d’abord pousser activement les explorations dans ce pays, lier des rapports commerciaux avec ce peuple nouveau par Enos, Sères et le port de Kavala, en détachant de nos vaisseaux marchands, qui vont annuellement à Salonik et à Constantinople, quelques barques vers ces côtes bulgares, où l’on s’approvisionnerait au plus bas prix de miel, de viandes salées, de fruits exquis. Quoique la plus grande partie de la nation bulgare habite les bords du Danube, ce n’est probablement ni sur ce fleuve ni sur la mer Noire que la nation, une fois émancipée, cherchera son principal débouché. Sur ces deux points, elle aurait trop de peine