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LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

que ce discours amena une de ces scènes d’ivresse, d’espérance et d’attendrissement, si fréquentes au commencement de la révolution. Mounier lui-même était alors au comble de la popularité ; il fut membre de la grande députation envoyée par l’assemblée à la ville de Paris, et rendit compte de sa réception à l’Hôtel-de-Ville. Ce rapport fut accueilli par des applaudissemens unanimes ; il se terminait ainsi : « Sans doute, il n’est aucun de nous qui n’eût désiré de prévenir, par tous les moyens possibles, les troubles de Paris ; mais les ennemis de la nation n’ont pas craint de les faire naître. Ces troubles vont cesser ; la constitution sera établie ; elle nous consolera, elle consolera les Parisiens de tous les malheurs précédens. Tout en pleurant sur la mort de plusieurs citoyens, il sera peut-être difficile de résister à un sentiment de satisfaction en voyant la destruction de la Bastille ; sur les ruines de cette horrible prison du despotisme s’élèvera bientôt, suivant le vœu des citoyens de Paris, la statue d’un bon roi, restaurateur de la liberté et du bonheur de la France. » Paroles significatives qui montrent Mounier partagé entre l’inquiétude et la résolution, entre le regret et l’espérance, et cherchant à s’étourdir lui-même avec l’assemblée sur la portée probable de ce qui s’était passé.

Cependant une grande lutte ne tarda pas à s’établir entre les partisans de la réforme légale et ceux d’un bouleversement radical. La prise de la Bastille avait en apparence investi l’assemblée d’un pouvoir absolu, souverain, irrésistible, mais elle lui avait retiré en réalité la véritable direction des esprits. La question n’était plus enfermée dans le cercle des pouvoirs constitutionnels ; elle était descendue sur la place publique. Mounier ne voulut pas l’y suivre. Toujours au premier rang pour défendre les lois, il protesta sans relâche contre les épisodes de meurtre et d’incendie qui se succédaient rapidement au dehors. Lally, Malouet, Clermont-Tonnerre, tous les hommes de sagesse et de cœur comme lui, l’appuyèrent de leurs discours, de leurs votes, mais en vain. La majorité, frappée de stupeur, ne répondait plus que faiblement à leur voix. En même temps que l’autorité échappait à l’assemblée, l’assemblée elle-même échappait à Mounier. Quant on relit les débats de ces temps mémorables, il est triste de voir cette poignée de citoyens illustres débordés tous les jours de plus en plus par l’entraînement et la terreur, opposant pied à pied les principes éternels de la liberté légale aux tentatives victorieuses de ses ennemis, abandonnés et trahis par les uns, insultés et menacés par les autres, et perdant peu à peu, avec leur légitime ascendant,