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sur la tribune une dernière protestation, et dire encore une fois quels étaient les vices de la constitution ; on ne le lui permit pas.

« Vous avez ordonné, s’écria-t-il, une révision des articles constitutionnels. Si la nation était assemblée pour en entendre la lecture, chaque Français aurait le droit de dire : j’accepte ou je rejette. Assurément, si la constitution peut tenir tout ce qu’elle promet, elle n’aura pas de plus zélé partisan que moi ; car, après la vertu, rien n’est au-dessus de la liberté et de l’égalité. Mais je vois dans la déclaration des droits une source d’erreurs pour le commun des hommes, qui ne doit connaître la véritable égalité que devant la loi. L’histoire n’offre aucun exemple du changement qui va s’opérer dans l’ordre social ; les anciens législateurs ont tous reconnu la nécessité d’une échelle de subordination morale. Vous avez voulu rapprocher le peuple de la souveraineté, et vous lui en avez donné la tentation sans lui en confier l’exercice. Je ne crois pas cette vue saine. La souveraineté appartient au peuple, cette idée est juste ; mais il faut qu’il la délègue immédiatement : en ne lui faisant déléguer que des pouvoirs, vous affaiblissez ces pouvoirs. Ceux-ci ne sont efficaces qu’autant qu’ils sont une représentation sensible de la souveraineté, et, d’après vos principes, ils prennent un caractère subalterne dans l’esprit du peuple. Il n’en serait pas de même si… » À ces mots, un affreux tumulte interrompit l’orateur ; Chapelier demanda que toute critique générale de la constitution fût interdite, et l’assemblée, adoptant cette proposition, coupa la parole à Malouet.

Violemment privé du droit de critique, il voulut au moins constater que la France n’était pas libre, et, quelques jours après, à propos de l’article qui établissait des conventions nationales pour la révision, il redemanda la parole ; cette fois on le laissa parler avec un peu plus de développement : « Tous les gouvernemens dont nous avons eu connaissance, dit-il, se sont formés par des actes successifs dont le complément est devenu, à certaine époque, une constitution. Ainsi les capitulaires en France, la grande charte en Angleterre, la bulle d’or dans l’empire germanique, sont devenus la constitution de ces états en fixant des droits et des usages antérieurs garantis par l’expérience et par le consentement des peuples. La constitution même des États-Unis est fondée sur des usages, des mœurs, des établissemens antérieurs à la déclaration de leur indépendance ; elle n’a effacé que le nom du prince pour y substituer celui du peuple, elle n’a rien détruit et tout amélioré. Pour abroger ou changer de pareilles lois, il