Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/971

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
965
LES MONARCHIENS DE LA CONSTITUANTE.

dégager et fixer ses résultats légitimes : ici encore il faut s’entendre. Ce qui était inévitable en 1789, c’était un changement social qui mît la puissance politique aux mains de la nation, et qui réalisât ce qu’il y avait de juste et de vrai dans les idées de la philosophie du XVIIIe siècle. Or, il est évident que de pareilles transformations ne s’opèrent pas sans effort. La vieille France avait beaucoup à expier, la nouvelle beaucoup à apprendre. De là le danger imminent d’une explosion, la difficulté, et, jusqu’à un certain point, l’impossibilité d’arriver au but sans secousse. Tout cela est vrai ; mais, ce qui ne l’est pas moins, c’est la variété infinie des moyens qui pouvaient être mis en œuvre. Si rien ne pouvait dispenser la France du travail pénible de sa régénération, elle était libre d’en atténuer l’angoisse, d’en adoucir les effets, et c’est beaucoup. Si les monarchiens l’avaient emporté en 1789, ils n’auraient obtenu qu’un de ces succès imparfaits, contestés, chanceux, les seuls qu’on obtienne dans les pays libres. Il aurait fallu recommencer la lutte tous les jours, comme il faut la recommencer aujourd’hui encore, comme il faudra la recommencer sans fin ; mais, pour peu qu’un premier succès eût soutenu les courages, on eût pu maîtriser l’horrible tempête qui a failli tout détruire, et on serait arrivé plus tôt à des temps plus calmes. Les crises les plus violentes ne sont pas les plus courtes, au contraire. Après s’être violemment guéri du mal, il faut souvent beaucoup de temps pour se guérir du remède ; c’est surtout en révolution que, pour aller vite, il importe de ne pas se presser.

On dit enfin que les excès de 92 et 93 ont été nécessaires pour sauver la France des attaques de l’Europe. Ceci encore a son côté vrai ; mais ce qu’on ne dit pas, c’est que les attaques de l’Europe furent provoquées elles-mêmes par les violences qui devaient servir à les repousser.

Dans le dernier chapitre de ses Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres, Mounier soutient avec une certaine éloquence que les auteurs de la constitution de 91 ne se sont pas seulement rendus coupables envers leur patrie, mais envers le genre humain tout entier. « Dans les premiers momens de la révolution, s’écrie-t-il, tous les amis des hommes applaudirent avec transport au zèle des citoyens qui voulaient procurer aux Français un gouvernement libre ; ils crurent que le sort de leurs semblables allait s’améliorer, que cette nation offrirait des exemples dignes d’être soutenus dans toute l’Europe par l’opinion publique, d’être accueillis