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digues, ce fleuve perdu sous les brouillards, et qui n’a point, comme le Guadalquivir, des paillettes d’or dans son limon, a roulé dans ses flots, de 1839 à 1841, cent vingt-sept recueils d’harmonies, de rêveries, de méditations, et de plus il a grossi ses eaux troubles de nombreux affluens catholiques et néo-chrétiens. Mystère imprévu des coups de la grace ! le mysticisme a saisi les poètes, et ils ont chanté la résurrection de la foi au moment même où le peuple traînait par les rues la vieille croix de Saint-Germain. Le peuple n’était que trop sincère dans son impiété ; les poètes étaient-ils sincères dans leurs hymnes ? En vérité, je crains d’approfondir. L’art chrétien de nos jours a donné pour son chef-d’œuvre Notre-Dame de Lorette ; le mandement épiscopal, qui ne s’inspire pas toujours de la charité, est venu disputer aux feuilletons des théâtres les colonnes des journaux. La poésie a-t-elle été plus heureusement inspirée que l’architecture ? Les alexandrins dévots des laïcs valent-ils mieux que la prose de monseigneur ? Voyons. — La poésie catholique est historique, descriptive, intime, dogmatique. Historique, elle traduit, commente ou paraphrase un récit de la Bible, un épisode de la vie du Christ, ce qui n’est point une nouveauté et n’implique pas la foi, car le genre biblique, dans le XVIIe siècle, fut aussi familier à l’école des goinfres. Descriptive, la poésie catholique s’inspire des ruines des couvens, des rosaces des églises, des processions. Ici nous retrouvons ce procédé matérialiste et facile qui s’attache exclusivement à l’écorce des objets extérieurs, et, qu’on me pardonne ce rapprochement tout profane, quelque chose de la manière de M. de Balzac. Souvent, au lieu de peindre les hommes ou d’analyser les sentimens, M. de Balzac peint les habits, les maisons, les cours ; il donne un signalement au lieu d’un portrait, un inventaire au lieu d’un tableau de genre. Le romancier, lorsqu’il nous promène dans un petit jardin bourgeois, ne nous ferait pas grace d’une laitue : le cicérone néo-chrétien, quand il nous promène dans une église, ne nous ferait pas grace d’un saint. La pensée éternelle s’efface devant la contemplation de la pierre. Le poète décrit ce qu’il voit au lieu d’exprimer ce qu’il sent, et il aspire la piété par les yeux, non par l’ame. Les gens qui prient sont invariablement comparés aux saints de pierre immobiles dans leurs niches ; les parfums de la cire qui brûle, les parfums de l’encens qui fume, les jeunes vierges qui chantent, la cloche « qui se balance dans les airs, » suffisent à défrayer une centaine de poètes, et pour chaque poète une trentaine de strophes. C’est un carillon mélancolique, qui sonne toujours le même air ; et cependant il y a là pour le talent, pour l’émotion réelle, pour ceux même qui doutent, une source puissante d’inspiration. Je n’en veux qu’une preuve, la pièce d’Hégésippe Moreau : Une Visite à Saint-Étienne-du-Mont.

Voilà pour l’église ; passons dans le cimetière. Le poète visite inévitablement l’asile des morts vers le soir, par un jour de pluie ou de vent, et aux approches de l’hiver. Il y va aussi quelquefois vers minuit, et alors il fait toujours clair de lune. Il n’est guère de recueil élégiaque qui ne renferme au moins une pièce sur le cimetière. J’ouvre au hasard deux volumes, et je lis :