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cibles armes de l’empire, la situation n’était pas aussi mauvaise qu’on avait pu d’abord le craindre.

Mais voyons comment Yischan, le grand pacificateur des rebelles, s’y prend pour annoncer au cabinet de Pékin la déconfiture des armes impériales. La lecture de ces documens me paraît toujours utile, en ce qu’elle fait connaître les relations de sujet à souverain en Chine ; elle fait entrer, d’ailleurs, dans les secrets de l’administration et de la politique, qu’ils dévoilent mieux que tous les commentaires. Le mémoire d’Yischan est curieux sous plus d’un rapport. Je me hasarde donc à vous le donner tout entier.

« Le 29 mai 1841, un rapport fut envoyé à Pékin ; à raison de six cents le par jour (soixante lieues) ; en voici la teneur :

« Le ministre de votre majesté, voyant que, depuis son arrivée à Canton, les forts de Woochun, Tah-wang-kaou et Fung-wang-kong (première barre, fort du passage de Macao, et batterie du Nid d’Hirondelle), sont tous tombés au pouvoir de l’ennemi, s’est occupé activement, de concert avec ses collègues, Lungwan et Yangfang, de l’érection de défenses tout le long du rivage. À Neishing (au nord-ouest de la ville), au fort de pierre, à Wongsha (dans le faubourg de l’ouest), au débarcadère qui est vis-à-vis la porte de Tsing-hae (sud de la ville), au bosquet du temple de Hungwoo ; à Wongshee, à Eeshamee (petites îles d’alluvion dans l’est), etc., etc., des canons ont été mis en batterie, et des corps de troupes placés en station. Toutes ces défenses ont été entourées d’une double ligne de sacs de sable, supportée par de fortes poutres et des amas de pierres et de boulets. Des fossés ont été, en outre, creusés, afin que les soldats pussent s’y mettre à l’abri du feu de l’ennemi. Partout, la base des batteries a été renforcée de sacs de sable, afin de rendre toute la ligne des fortifications effective et complète. Votre ministre, accompagné de ses collègues, fit plusieurs fois le tour de la ville, afin de s’assurer que rien ne manquait à sa défense. De plus, un corps de milice du Fo-kien et un autre corps de la milice navale furent formés, des radeaux furent construits et mis à l’eau, et une grande quantité de paille fut rassemblée, afin que tout fût préparé pour une attaque par eau.

« Dans la nuit du 21 mai, tout étant prêt, une grande bataille eut lieu avec les étrangers, en dehors du fort de l’ouest. Une attaque simultanée de feu (brûlots) et de canon fut dirigée contre eux. Cinq bateaux des barbares furent brûlés, et, deux de leurs canons ayant été détruits, deux mâts de leurs vaisseaux ayant été brisés, force leur fut de se retirer. — À la cinquième veille, votre ministre se disposait à se mettre à la tête des troupes et à exterminer les barbares, quand tout à coup la flotte ennemie fut renforcée par l’arrivée de seize grands navires, huit bateaux du démon (bateaux à vapeur), et plus de quatre-vingts embarcations, qui s’avancèrent tous ensemble. Nos troupes, ayant combattu sans relâche toute la nuit, étaient fatiguées et harassées, et nous n’avions qu’un petit nombre de canons. Cependant chacun de nos canons tira avec la plus grande rapidité plusieurs dizaines de coups ; mais, les navires des barbares étaient forts et en si grand nombre, que nous ne pûmes