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nation espagnole. Jeté dans les prisons de Naples et mis sept fois à la torture, il ne démentit pas son caractère : les bourreaux du comte de Lemos ne purent lui arracher le moindre aveu. À l’exemple de plusieurs enthousiastes qui ont fait secte et se sont continués jusqu’à nous, le moine de Stilo décernait au pontife du catholicisme une autorité universelle, tant sur le temporel que sur le spirituel. Comme Guillaume Postel, dans son Orbis concordia, comme Isidore Isolanis, comme Fialin, comme Bonjour, il rêvait l’établissement de la république du Christ, ou, suivant sa propre expression, de la monarchie du Messie. La Cité du Soleil renferme l’idéal de ce régime. Campanella procède dans sa fiction comme Morus. C’est un capitaine de vaisseau génois qui, dans le cours d’excursions lointaines, a découvert l’île de Topobrane et la Cité du Soleil ; il raconte ce qu’il a vu au grand-maître de l’ordre des hospitaliers. Les Solariens sont les plus heureux des hommes : ils ont pour chef un grand métaphysicien, qui gouverne au moyen de ses trois ministres, Puissance, Sagesse, Amour. Puissance a la guerre dans ses attributions ; Sagesse, les arts, les lettres et les sciences ; Amour, la vie physique et les théories de la génération. À chaque vertu sont affectées des magistratures qui y correspondent : quant aux vices, on n’a rien prévu ; à peine quelques fautes vénielles sont-elles punies par l’exclusion du repas en commun ou par l’interdiction du commerce des femmes. L’éducation est la même pour tous les Solariens, et l’ordre des mérites détermine la hiérarchie des pouvoirs. Le grand métaphysicien est la première capacité du pays. Campanella avait deviné le saint-simonisme. Du reste, tout est commun dans la Cité du Soleil, logemens, lits et dortoirs. Tous les six mois, les magistrats désignent ceux qui doivent habiter dans telle ou telle enceinte, coucher dans telle ou telle chambre. Le travail est commun aussi ; seulement les magistrats en font la distribution, soit entre les sexes, soit entre les individus, de manière à ménager les forces et à concilier les aptitudes. La sollicitude de Campanella se porte principalement sur l’union des couples ; il en parle en moine exempt de préjugés. Son grand métaphysicien n’abandonne pas le croisement des races à la loi du hasard, aux vicissitudes du caprice ou de l’intérêt. L’individu, chez les Solariens, est sacrifié à l’espèce ; des fonctionnaires publics se chargent, dans un autre ordre d’améliorations, d’y représenter nos inspecteurs généraux des haras. Le choix des âges, des tempéramens, des époques favorables, des heures propices, devient l’objet d’études minutieuses et de détails que le latin seul tolère. Pour