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les autorités de Ning-po profitèrent de ce délai pour enlever le trésor public, et les habitans pour mettre à l’abri leurs effets les plus précieux.

Le plus grand désordre régna à Chin-hae après la prise de la ville. Dans une ville aussi étendue, une poignée d’hommes occupés à choisir des positions et à garnir des postes, ne pouvait établir même la plus légère discipline. Il ne faut donc pas, je le répète, rendre les Anglais responsables de tous les excès qui se commirent ; ils étaient, d’ailleurs, intéressés à en atténuer les conséquences autant que cela leur était possible. Du reste, une occupation militaire en Chine doit toujours entraîner les mêmes désordres. Le peuple chinois, habitué depuis tant de siècles à ne pas penser par lui-même et à voir ses destinées exclusivement confiées au contrôle sacré de son gouvernement, n’a plus de vie active aussitôt qu’il est abandonné à sa propre volonté. Il n’y a pas là de corps social capable d’organiser une défense des intérêts individuels. Quand le gouvernement disparaît, toute idée d’ordre disparaît avec lui. Les Anglais trouveraient difficilement, même dans la classe la plus opulente et la plus intéressée au maintien de l’ordre, les moyens d’organiser une police ; tous les hommes riches ou influens se cachent, et la terreur que leur inspirent les châtimens qui les attendraient s’ils paraissaient prendre, même indirectement, la moindre part aux opérations des ennemis du pays, les empêcherait d’accepter d’eux-même un simulacre de fonctions publiques. La crainte de la responsabilité qu’ils encourraient est bien plus forte chez eux que le désir de conserver leurs propriétés ; ils préfèrent naturellement la perte de leur fortune à celle de leur vie. Le gouvernement n’est pas mort pour eux, et ils s’attendent toujours au retour prochain de ces autorités dont la volonté a été depuis si long-temps la seule loi du peuple. Le sentiment de haine contre les barbares, si général dans toutes les classes de la société chinoise, conserve d’ailleurs toute sa force, et les désastres de la guerre ne peuvent que donner plus d’énergie à cette disposition. La canaille, qui n’a rien à perdre et qui partout est l’ennemie naturelle du riche ; se livre donc impunément à tous les excès aussitôt que cesse l’action du gouvernement.

Quelle immense commotion ont dû produire ces évènemens au sein de ces riches provinces naguère si tranquilles, de ces populations livrées tout d’un coup et sans transition, après tant de siècles de paix, à toutes les horreurs d’une guerre cruelle ! Combien ce réveil, après un si long sommeil, n’a-t-il pas dû être terrible ! Chez nous, on est, pour ainsi dire, toujours préparé à la guerre ; c’est une éventualité redoutable, mais dont on s’entretient journellement et dont la nation tout entière s’occupe. En Chine, et surtout dans les provinces éloignées du contact européen, où la plus grande partie de la population ignorait même qu’il y eût d’autres nations en dehors de l’empire céleste, l’agression anglaise dut renverser toutes les idées ; elle dut paraître à ces pauvres gens comme un bouleversement du globe.

Le 13 septembre, Ning-po avait été pris sans coup férir. Cette ville, de deux à trois cent mille ames, s’ouvrit sans résistance devant un détachement