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du commerce et de l’industrie de l’Angleterre enrichit, au lieu de les ruiner, toutes les terres qu’ils soumettent à leur joug. Ce sont les capitaux de l’Angleterre qui bâtissent comme par enchantement des villes considérables, qui fertilisent des terres jusque-là incultes, qui créent d’immenses centres de production et de consommation là où elle n’avait trouvé naguère que des peuplades sauvages. Il faut le dire, l’Angleterre, poussée par la force irrésistible de sa destinée, a plus fait pour la civilisation du monde que toutes les nations conquérantes qui l’ont précédée ; partout où elle va, elle porte avec elle sa persévérante industrie, elle instruit les peuples, les fait sortir, involontairement peut-être, de l’ornière de la routine et des vieux préjugés. Elle fait payer cher ses leçons, il est vrai, elle trouve son salaire dans les bénéfices que son commerce prélève sur les marchés qu’elle exploite ; mais, tôt ou tard, ces leçons portent leurs fruits, et les nations apprennent par son exemple le grand art de se suffire à elles-mêmes.

C’est ce qui est constamment arrivé depuis cinquante ans. On peut dire que c’est en exploitant le monde que l’Angleterre s’est placée à la tête des nations ; mais, dans l’accomplissement de cette grande œuvre, chaque succès obtenu n’a-t-il pas été une ressource qu’elle épuisait ? Aujourd’hui, elle est arrivée à l’apogée de sa grandeur, elle peut s’étendre encore ; cependant, croyez-moi, elle ne deviendra pas plus forte. Si elle règne encore par le prestige qu’elle exerce sur les autres nations, avant qu’il soit long-temps, ce prestige se dissipera : d’autres grands intérêts nationaux se forment à l’entour d’elle et la menacent, et plus son action sur le monde est aujourd’hui puissante, plus la réaction du monde contre elle deviendra redoutable. Mais la décadence de l’Angleterre causera une immense perturbation dont les conséquences sont incalculables ; c’est chez elle qu’est le cœur du crédit du monde, et le monde sera déchiré, la société tout entière sera bouleversée, quand cessera le règne moral de l’Angleterre.

Que peut donc faire l’Angleterre pour sortir de cette situation ? Il faut ou qu’elle trouve un nouveau monde à exploiter, ou que, par une de ces grandes combinaisons politiques qu’elle a su jusqu’ici si habilement amener, elle ferme encore une fois aux nations rivales les grandes voies commerciales où elle ne marche plus seule, en un mot, il faut que la guerre lui rende ce que la paix lui a enlevé : c’est là une terrible alternative, mais c’est la seule qui lui reste, elle n’a pas d’autre chance de salut. L’Angleterre recule devant les chances de la guerre ; sa situation financière l’alarme, les grandes questions intérieures dont le développement inquiète le gouvernement l’arrêtent, les alliances dans lesquelles elle est maladroitement entrée sont loin de la rassurer, elle ne compte sur les sympathies de personne, enfin elle a besoin de toutes ses forces pour consolider son empire de l’Inde, qui, après un siècle à peine d’existence, commence à s’ébranler, et, quoiqu’elle sente bien que la paix la tue, elle ne se sent cependant pas en état de faire la guerre. C’est là une situation qui, à mon avis, n’est pas bien comprise en France. On cherche à raviver