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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

enfin un chef supérieur parmi les chefs de provinces. Au-dessus des divers sénats siége un sénat suprême, sujet à un renouvellement annuel. Les lois pénales atteignent tous les membres de la communauté, depuis l’artisan jusqu’au souverain, et elles ne brillent pas par la clémence. Ainsi, tout individu convaincu d’avoir voulu introduire dans le pays « la détestable propriété est enfermé pour toute sa vie, comme fou furieux et ennemi de l’humanité, dans une caverne bâtie dans le lieu des sépultures publiques ; son nom est pour toujours effacé du dénombrement des citoyens ; sa famille en doit prendre un autre[1]. » L’assassinat, l’adultère, sont aussi prévus et frappés de diverses peines. Le Code de la Nature a cet avantage sur les hallucinations du même genre, qu’il ne croit pas à la perfectibilité absolue et qu’il ménage une place au châtiment.

À côté de ces travaux d’un ordre purement littéraire, il importe de placer des inspirations, différentes quant au mobile, semblables quant au résultat. Ici l’extase remplace l’imagination, le sentiment religieux domine le sentiment philosophique. L’illusion consiste dans la prescience d’un paradis terrestre. Au lieu de le reléguer dans le passé, on le place dans l’avenir, et on y aspire avec une ferveur spirituelle et sensuelle. Près du berceau même du christianisme et au sein de la seconde génération d’apôtres, ce schisme éclate. Papias, disciple de saint Jean, évêque d’Héralde, annonce le gouvernement temporel du Christ, et conseille aux fidèles de se préparer à cette transfiguration nouvelle. De là les sectes des millénaires, des chiliastes et toutes leurs variétés. Rien n’est plus curieux que leurs rêves, dont Towers a été l’interprète le plus hardi[2]. Il faut voir dans son livre quel admirable séjour sera notre globe quand les temps du millenium, ce règne de mille ans, seront arrivés, et qu’il n’y aura plus qu’un maître ici-bas, Jésus. Les merveilles de l’âge d’or s’effacent devant cette Apocalypse nouvelle. Plus de séparations factices, plus de distinctions arbitraires : la fraternité évangélique gouverne le monde ; l’humanité ne forme plus qu’une famille. Toutes les causes de division, de trouble, de haine, disparaissent comme par magie. Le luxe des cours, l’insolence des grands, l’orgueil des riches, font place au sentiment profond de l’égalité : il n’y a de lutte que pour le dévouement. On ne reconnaît plus qu’un titre, la vertu ; on n’a qu’un souci, le bonheur commun. Les efforts des générations s’unis-

  1. Code de la Nature, p. 175.
  2. Voyez Illustrations of Prophecy, par Towers.