Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

Il est utile de s’arrêter un moment encore sur ces exceptions sociales. Elles ont pu offrir la réalisation d’une communauté intérieure précisément parce que la société n’obéissait pas à ce régime ; voilà ce qu’il importe de faire ressortir. L’abdication de la liberté, de l’intérêt, du droit individuel, y était volontaire sans doute, mais elle résultait d’une résignation ou d’une compensation religieuse. Le calcul n’y entrait pour rien, ou, s’il y jouait un rôle, il se portait au-delà de cette vie et spéculait pour l’éternité. La disposition de ces ames, clôturées dans une enceinte ou enfermées dans un système, les amenait à regarder ce monde comme un lieu de passage, indigne d’attention et de regrets. C’était un avantage inappréciable. Avec de bons élémens, il n’est point de régime entièrement mauvais : ici les élémens valaient mieux que le régime, et lui communiquaient quelque vertu. Tandis que la grande société humaine plaçait le bonheur dans la jouissance et dans la liberté, ces sociétés mystiques le faisaient consister dans la privation et dans l’obéissance. En apparence, c’était cela. Une règle inflexible réprimait les écarts et contenait les regrets. Là où les vœux étaient éternels, l’engagement indissoluble, il fallait se plaire dans cette condition ou dévorer ses douleurs ; là où le lien n’était que volontaire, la communauté rejetait dans le tourbillon du monde ceux que la vocation n’enchaînait pas suffisamment. Des deux côtés, il y avait, pour l’institution, une garantie suffisante, soit dans la compression, soit dans l’expulsion des individualités rebelles. La vie collective était maintenue de la sorte avec une entière rigueur, et le système portait des fruits, sinon sains, du moins satisfaisans au regard. Les communautés forcées demandaient à la société des armes pour maintenir la discipline ; les communautés libres la prenaient pour dé-

    composée de trente-six membres ; hommes, femmes et enfans. Depuis plus de six siècles, l’exploitation des terres des Jault se fait en commun, et ce régime y a survécu à cinquante ans de révolutions. La communauté est gouvernée par un chef qu’ils nomment le maître, et qui semble résumer tous les pouvoirs comme tous les droits. M. Dupin aîné a expliqué par quels moyens les Jault étaient parvenus à conjurer le fractionnement qu’entraîne la division des héritages. Il est difficile de croire que cette curieuse anomalie puisse subsister long-temps encore : la communauté du Morvan semble prospérer ; mais on aurait tort d’en tirer une conclusion favorable à une expérience sur une grande échelle. C’est là une exception comme celle des moraves et des jésuites du Paraguay. Ce n’est pas d’ailleurs une communauté pure et simple, puisqu’en dehors de sa part afférente dans l’exploitation, chaque membre des Jault peut avoir une épargne personnelle, un pécule. On peut donc considérer cette association comme une sorte de commandite agricole, agissant dans un cercle prévu et pour des fins déterminées.