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LE ROMAN ANGLAIS.

de ce roman, qui sous la main imprévoyante de l’auteur, a fini par composer quatre énormes volumes. Une fortune considérable, jointe à un titre et à un domaine aristocratiques, se trouve, au moyen d’évènemens assez habilement conçus, transportée tout à coup sur une tête vulgaire et niaise qui ne s’attendait pas à cette aubaine inespérée. Aussitôt germent et éclosent toutes les folies que la misère et l’obscurité avaient étouffées jusqu’alors. Ce soleil de la fortune, réchauffant et développant les fatuités, les ridicules, les prétentions endormies, transformant la nullité innocente en sottise qui fait du bruit, et les petits défauts en gros vices, ne tarde pas à faire apparaître le héros comme un des plus amusans personnages que les romanciers aient jamais empruntés au monde réel. La singularité de l’aventure éveille l’intérêt général ; on s’occupe de notre homme, et quelques gens à la mode, ayant besoin de trouver une dupe, et la trouvant toute prête, s’amusent à jeter ce personnage sur le théâtre de la célébrité. Comme il ose tout et que les circonstances le servent, ainsi que les hommes, il réussit merveilleusement par la franche allure de ses défauts même, et joue un premier rôle dans cette grande comédie qui n’a pas de coulisses. C’est encore une très belle et très pénétrante observation que cette métamorphose double du sot primitif, espèce de chenille oubliée, en chrysalide incertaine, et de cette dernière en papillon dont les ailes dorées éclatent sous le soleil et reçoivent l’hommage populaire. Il y a autour du héros une troupe de sycophantes, d’hommes d’affaires, d’hommes de bourse, d’hommes de plaisir, qui l’escortent et l’aident dans les excès ou les ridicules dont il est prodigue. On voit toute cette couvée ardente voltiger autour de la fortune que possède le sot, et chaque oiseau de proie en arracher un lambeau pour son usage. Tout cela ne dure guère. Une péripétie qui ne manque ni d’artifice ni de vraisemblance inquiète le sot sur la possession de son titre et de ses rentes ; alors c’est une inquiétude, une bassesse, une faiblesse, une pauvreté d’ame, qui trahissent le peu de valeur de cette nature commune et médiocre. Pendant qu’il s’agite ainsi dans le pressentiment et le désespoir de sa catastrophe prochaine, la famille honorable que son avènement a privée de l’opulence et de la considération languit et souffre, travaille et attend, lutte contre son destin avec cette résignation de tous les jours, seul remède aux maux de ce genre, et se relève par degrés vers cette richesse qu’elle parvient à reconquérir, tandis qu’un progrès parallèle et contraire fait redescendre le par-