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PHILOSOPHIE DU DRAME GREC.

autre, selon que les questions de principes se trouvaient engagées dans les intérêts, les influences ou les passions contemporaines. Assurément la politique ne fut pas étrangère aux condamnations de Socrate et d’Alcibiade. À tout prendre pourtant, de réaction en transaction, la critique des dieux marchait toujours, les uns mettant la mythologie au régime de l’explication allégorique, les autres, plus décidés, prenant les croyances populaires au sens littéral, et les faisant sauter sous le fouet impitoyable de leur comédie[1].

La comédie, genre critique et négatif, travaillait donc, si on la considère dans sa signification la plus élevée, à détruire la forme extérieure du culte ; cela est si vrai, que les dieux ne cessèrent d’être bafoués sur la scène qu’à l’époque où l’on n’y croyait plus, et où le culte ne se maintenait plus que faute d’un meilleur symbole, c’est-à-dire après Socrate, en pleine philosophie, lorsque Ménandre, compléta ce qu’Aristophane avait commencé, la substitution, dans la comédie, de l’humanité vraie et de l’observation aux fantaisies mythologiques.

Cependant que faisait la tragédie ? Tandis que sa sœur critique le faux, le petit, le laid, elle, dans sa nature sérieuse, ne peut qu’exposer la réalité, le grand, le beau. Vivant donc dans la même atmosphère philosophique, nourrie de l’idée générale du même temps et du même pays, elle s’applique aussi à la religion, mais dans un sens positif et affirmatif ; laissant là le mythe, ou le traitant comme un accessoire, elle en tire le sens, elle en dégage le dogme, et le transporte dans le tableau de la vie humaine. C’est ici le grand côté de la philosophie dramatique des Grecs ; mais, pour expliquer suffisamment notre pensée à ce sujet, il est nécessaire que nous remontions un peu plus haut, que nous jetions un regard un peu plus libre sur l’horizon religieux de la Grèce. Ceci ne sera pas une digression ; c’est notre sujet même. L’antique tragédie est sortie des mystères ; son esprit ne peut s’interpréter que par l’esprit des mystères. Il faut donc

  1. Héraclide de Pont, qui essaya de justifier Homère par voie d’allégorie, disait (Proœm. allegor.) : « Homère pourrait passer pour un Salmonée, pour un Tantale, ayant une langue déréglée et sans frein, si ce qu’il a chanté sur les dieux n’était pas compris dans un autre sens… ησέβησε, εἷ μὴ ἠλληγόρησε. »

    D’un autre côté, dans l’Apothéose d’Homère, bas-relief célèbre (Musée Pio-Clém., t. i), la comédie est représentée, aussi bien que la tragédie, rendant hommage au prince des poètes, et Visconti remarque que la comédie a bien aussi sa part dans les poèmes homériques. A. W. Schlegel a aussi entrevu cette idée : « Le germe de la poésie satyrique, dit-il, était déjà contenu dans Homère. » Où donc, si ce n’est dans les dialogues des dieux ?