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Carlos pour faire croire à une réaction absolutiste de la part des puissances de l’Europe, et ranimer par l’espoir d’un prochain secours le courage défaillant des bandes désorganisées.

Dans cette église, je vis un spectacle qui me frappa, c’était une vieille femme qui rampait sur les genoux, de la porte vers l’autel ; elle avait les bras étendus en croix, raides comme des pieux, la tête renversée en arrière, les yeux retournés et ne laissant voir que le blanc, les lèvres bridées sur les dents, la face luisante et plombée ; c’était de l’extase poussée jusqu’à la catalepsie. Jamais Zurbaran n’a rien fait de plus ascétique et d’une ardeur plus fiévreuse. Elle accomplissait une pénitence ordonnée par son confesseur, et en avait encore pour quatre jours.

Le couvent de San-Geronimo, maintenant transformé en caserne, renferme un cloître gothique à deux étages d’arcades d’un caractère et d’une beauté rares. Les chapiteaux des colonnes sont enjolivés de feuillages et d’animaux fantastiques d’un caprice et d’un travail charmans. L’église, profanée et déserte, offre cette particularité, que tous les ornemens et les reliefs d’architecture y sont peints, comme la voûte de la Bourse, en grisaille, au lieu d’être exécutés réellement ; c’est là qu’est enterré Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand capitaine. On y conservait son épée, qui a été enlevée dernièrement et vendue deux ou trois douros, valeur de l’argent qui garnissait la poignée. C’est ainsi que beaucoup d’objets précieux comme art ou comme souvenir ont disparu sans profit autre pour les voleurs que le plaisir même de mal faire. Il semble que l’on pouvait imiter notre révolution par un autre côté que par son stupide vandalisme. C’est le sentiment que l’on éprouve toutes les fois que l’on visite un couvent dépeuplé, à l’aspect de tant de ruines et de dévastations inutiles, de tant de chefs-d’œuvre de tous genres perdus sans retour, de ce long travail de plusieurs siècles emporté et balayé en un instant. Il n’est donné à personne de préjuger l’avenir ; mais je doute qu’il nous rende ce que le passé nous avait légué, et que l’on détruit comme si l’on avait quelque chose à mettre à la place. Encore pourrait-on mettre ce quelque chose à côté, car la terre n’est pas tellement couverte de monumens, qu’on soit forcé d’élever les nouveaux édifices sur les décombres des anciens. Ces réflexions me préoccupaient en parcourant, dans l’Antequeruîa, l’ancien couvent de San-Domingo. La chapelle est décorée avec une surcharge de colifichets, de fanfreluches et de dorures inimaginable. Ce ne sont que colonnes torses, volutes, chicorées, incrustations de brèches de couleur, mo-