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pensée, il trouve la force dont il a besoin. Il y a sans doute bien des illusions dans ce premier amour ; sans elles pourtant on ne ferait rien de grand. Champollion les connut aussi. À dix-sept ans, l’âge où l’on trouve tout simple de faire une encyclopédie ou de réformer le monde, il eût l’idée d’écrire un ouvrage qui devait être un tableau complet de l’Égypte avant Cambyse. Il en communiqua le plan quatre ans après ; dans la vivacité de ses espérances, il se flattait d’un prompt achèvement ; les lenteurs de l’impression lui donnaient seules quelques inquiétudes. Il aura dans la suite souri plus d’une fois de cette naïve confiance ; il ne possédait pas encore le premier élément de sa découverte et il n’a du reste jamais publié de cet ouvrage que la partie géographique.

En 1815, la faculté des lettres de Grenoble fut supprimée, et Champollion put se livrer tout entier à ses recherches. Il se mit sérieusement à l’étude des écritures égyptiennes. On peut distinguer en général trois différentes espèces d’écritures. L’écriture figurative n’est que l’imitation exacte des objets que l’on veut représenter ; elle est, à vrai dire, un dessin plutôt qu’une écriture. Plusieurs peuples s’en sont servis d’abord pour la quitter ensuite ; les Mexicains n’en ont pas eu d’autre. Les idées abstraites et morales ne peuvent être exprimées par un procédé pareil que si l’on donne aux objets imités un sens métaphorique. L’écriture figurative devient donc presque inévitablement symbolique ; sans cela, elle demeure d’une extrême indigence. Sa forme, du reste, demeure la même ; ses caractères exigent une habileté dans le dessin que peu de personnes possèdent ; ils ont dû se modifier pour devenir d’un usage général et commode. On les a abrégés au point qu’ils ont cessé d’être figuratifs, et qu’au lieu de peindre les objets, ils n’ont plus servi qu’à en représenter conventionnellement l’idée. C’est la seconde sorte d’écriture, le procédé idéographique qu’emploient les Chinois et les Japonais. Ce système, comme le précédent, nécessite une multitude de signes. L’écriture alphabétique est au contraire d’une admirable simplicité ; elle fut en usage dans l’Inde et l’Asie occidentale. Je n’ai rien dit de l’Europe dans cette statistique des écritures. Chose singulière ! l’Europe, si ingénieuse et si inventrice, n’a pas su imaginer d’écriture. C’est de la Phénicie que par la Grèce et par Rome, après maintes modifications elle a reçu ses alphabets. Les Celtes, avant les influences étrangères, n’en ont pas eu, et les caractères runiques trouvés sur quelques monumens du Nord sont postérieurs au christianisme et ne peuvent ainsi rien prouver.