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pour ne rien savoir, sur la foi d’autrui, quand on s’obstine à une méthode rigoureuse, il est bien difficile de ne pas quitter une fois les sentiers battus. Le paradoxe peut n’être qu’un bon sens poussé jusqu’au bout, comme le sens commun n’est souvent aussi qu’un non sens qui s’arrête à moitié route, au carrefour de toutes les opinions. M. Letronne unit la sagacité et la portée, la finesse et l’étendue d’un esprit attentif à l’ensemble comme aux plus minutieux détails ; jamais rien de pesant ni de banal. L’érudition fait peur à beaucoup de gens ; elle est si souvent ignorante du bon goût, embarrassée dans son fatras, futilement curieuse et lourdement puérile. Avec M. Letronne, on n’a rien à craindre de pareil. L’érudition est toujours chez lui ingénieuse, sensée et du meilleur atticisme ; elle comprend à demi-mot ; il lui suffit d’un indice. Une critique lucide et inventive, la précision, le bon goût, une science armée de toutes pièces et preste dans ses mouvemens, la rigueur mathématique du raisonnement, l’exquise clarté du langage, donnent aux travaux de M. Letronne un caractère éminemment français.

M. Letronne a su se livrer toujours aux recherches où son talent le devait mieux servir. Il ne s’est guère occupé de la poésie, de la philosophie ou de la religion des peuples anciens. Il laisse aux Creuzer, aux Welcker et aux Ottfried Müller le soin de faire d’admirables travaux sur l’art et sur la mythologie. Il préfère les recherches sur le gouvernement, la politique, les sciences positives. Il aime à retrouver l’anecdote des temps anciens, à pénétrer jusqu’à leur vie familière ; il se plaît à les surprendre en négligé ; il montre fort peu de respect pour l’étiquette dont l’histoire a pris l’habitude, et ne craint pas d’assaisonner quelquefois l’archéologie d’un grain de malice.

M. Letronne a écrit nombre de dissertations sur les antiquités égyptiennes. Il m’est impossible de les faire connaître ; il en vaudrait la peine pourtant ; elles se distinguent par les qualités que je viens de signaler chez lui, et presque toujours elles se terminent par quelque découverte piquante.

Chacun connaît l’histoire de la statue de Memnon, qui rendait, au lever du soleil, des sons harmonieux. Le fils de l’Aurore a reçu de M. Letronne un rude échec à sa célébrité. Le colosse se dilatait et vibrait aux premiers rayons du soleil ; mais, pour que cette vibration produisit un son appréciable, il fallait qu’aucune fissure ne vînt arrêter les oscillations, et que la masse fût parfaitement saine. C’est un mérite qu’il est à peu près impossible de trouver dans un bloc de