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PORTRAITS HISTORIQUES.

sévère maréchal qui ne parut pas d’humeur plus traitable. La mésintelligence augmenta par des injustices que le comte prétendait lui être faites dans la distribution des entreprises, et « comme il se sentait, dit-il, du talent pour les plaisanteries, » il ne se fit pas faute de l’employer à sa vengeance. Le maréchal, avec un courage à l’épreuve de tous les périls, avait peur de l’épigramme, et se trouvait moins à l’aise sous le regard malin de son lieutenant que devant les batteries espagnoles. Il l’avoua lui-même au comte dans une explication qu’ils eurent ensemble (1656). Il lui dit qu’il ne le jugeait pas de ses amis, et qu’en eût-il sa promesse, il ne se croirait pas à l’abri de son sarcasme, s’il lui arrivait quelque malheur de guerre. Les paroles les plus formelles ne purent, en effet, guérir le grand capitaine de cette appréhension, et le comte demeura, par le seul fait d’un esprit enclin à la moquerie, continuellement suspect de mauvais cœur et de caractère dangereux. Il ne semble pas pourtant qu’il se soit égayé sur la levée du siége de Valenciennes (1656), ni sur l’entreprise manquée contre Cambray (1657), et il loua autant que personne les ressources admirables par lesquelles le maréchal regagna deux fois l’avantage perdu. On raconte seulement que Bussy fit un couplet sur les amours de son général, et que celui-ci, dans une de ses relations au roi, signala le comte « comme le meilleur officier de son armée pour les chansons. » Ainsi, celui des deux qui redoutait la raillerie s’y serait montré sans contredit le plus habile.

Dans le même temps, il lui arriva une rencontre bien plus fâcheuse. Après avoir encouru l’inimitié d’un grand homme, il se brouilla encore avec une femme vraiment adorable. Sa cousine, Marie de Rabutin, dont Paris a eu l’ingratitude de ne pas revendiquer la naissance, venue au monde, le 6 février 1626, dans une maison de la Place-Royale, mariée en 1644 au marquis de Sévigné, et veuve en 1651, entretenait depuis quelques années avec lui un commerce de lettres ingénieuses. Il lui était bien venu dans la pensée, à lui, d’y mêler quelque chose de plus tendre ; mais on l’avait arrêté tout court sur ses premières tentatives, et il s’y était tenu d’autant plus volontiers, que nul autre ne semblait en effet avoir reçu l’espoir de mieux réussir. Tout se passait donc entre eux en familiarité amicale et en exercice d’esprit. Au commencement de 1658, le comte eut besoin d’argent, et voulut en emprunter à sa cousine. La marquise, comme toutes les veuves, était « peu prêteuse. » Elle hésita, le comte entra en colère, obtint d’une maîtresse ce que sa parente lui refusait, et partit pour l’armée, où il arriva peu de jours avant la bataille des