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vrent toutes les provinces de l’Orient. À voir les sou-terrazi conserver sans aucun développement tous les procédés techniques de leurs ancêtres, on dirait une société de castors. Leurs admirables aqueducs, aux pentes si savamment calculées et qui sont quelquefois longs de quinze à vingt lieues, se ressemblent tous au point qu’on ne peut distinguer ceux d’hier de ceux d’il y a deux mille ans. L’Argyrine compte encore près de quatre mille sou-terrazzi établis sous Kormovo, dans les villages de Chlezi, Nakova et Doxati.

Sur cette riante vallée s’ouvre le lugubre défilé de Tépéleni où la petite ville de ce nom est cachée dans un entonnoir calcaire, sujet à des ouragans si terribles, qu’on n’a jamais pu faire croître un arbre sur les parois pelées de cet abîme. C’est au milieu de ces tempêtes que grandit le terrible Ali-Pacha, qui à force de massacres, mit un terme aux faïdas des tribus toskes. Plus haut, dans la vallée de l’Arberie, arrosée par la Belitsa, le voyageur peut reconnaître la place où fut Gardiki, cette ville dont la sanglante histoire fait frissonner. La Voïoussa (en slavon fleuve de la guerre et des gémissemens) tombe des sommets klephtiques du Pinde et parcourt ces régions désolées où l’on ne trouve plus que des pasteurs nomades toujours prêts à donner ou à recevoir la mort. Encaissée entre deux rives de rochers sans verdure qu’elle bat de ses flots écumeux, la Voïoussa déchire le flanc des monts Mertchica et Melchiova, comme le Penée en Thessalie divise la masse de granit dont les deux fragmens forment l’Ossa et l’Olympe. Mais, loin de produire les frais ombrages d’une vallée de Tempé, le stérile fleuve des Toskes ne peut même féconder la sève du saule qu’on plante sur ses bords. Cependant son large lit reçoit le tribut de sources et de torrens nombreux qui, filtrant du creux des rochers, sont appelés par les Grecs yeux souterrains (katachthonia matia). En remontant le cours de la Voïoussa, on rencontre Kleïsoura, castel élevé de plus de mille pieds au-dessus du fleuve dans un important défilé, et qui sert de chef-lieu au canton de la Desnitsa. Les indigènes de ce district montrent au voyageur un couvent en ruines bâti jadis par les Français, et près duquel M. Pouqueville trouva les derniers Souliotes exilés par Ali, mourant de maladie autour d’un papas qui, âgé de soixante ans, prévoyait avec désespoir qu’il survivrait à son troupeau. Plus loin est Prémiti, avec son acropole du temps de Justinien, adossée au mont Mertchica (l’ancien Œrope), et voisine de deux cimes granitiques perpendiculaires que couronnent d’inaccessibles débris. Les citoyens de cette ville, long-temps libres, ont péri et sont remplacés par des