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et tous les patriotes avaient les yeux fixés sur Arslan-bey, le plus puissant des trois chefs. — Arslan, fils du meuchardar (garde-des-sceaux) d’Ali-Pacha, âgé de vingt-cinq ans, beau, brave, passionné pour la poésie et la gloire, avait acquis sa renommée dans une audacieuse tcheta qu’il avait poussée à la tête de cinq mille Albanais, jusqu’au cœur de la Grèce, pour délivrer par cette diversion les Turcs bloqués à Négrepont et dans l’Attique. Cet exploit lui avait valu le pachalik de Zeitouni en Thessalie. Mais les cinq mille klephtes qu’il commandait, et auxquels il ne refusait rien, commirent sous ses yeux de tels ravages à Kodgana, à Trikkala et dans plusieurs autres villes peuplées de rayas grecs, qu’en 1830 le divan se crut obligé de le déclarer fermanlia. Aussitôt après cette excommunication, le grand-visir partit pour Andrinople, où il convoqua tous les beys, ayans et spahis roméliotes, pour la campagne d’Albanie. De son côté, Mahmoud, pacha de Larisse, marcha à la tête de dix mille hommes contre les klephtes d’Arslan, et les défit. Arslan, qui n’occupait alors qu’un poste d’avant-garde hors des frontières albanaises, chercha dès ce moment à se rapprocher de sa patrie.

Les plus petits castels albanais étaient remplis de soldats insurgés ; ces forces disséminées se scindaient malheureusement en trois factions, dont chacune paralysait les deux autres. Un désavantage non moins grand pour l’Albanie, c’est que les chefs de ces factions étaient musulmans, et le visir de Skadar lui-même, seul moteur de tous ces troubles, n’osait embrasser le christianisme. S’il eût pu s’y résoudre, il devenait par ce seul fait prince indépendant de la Mirdita et de la majorité des Albanais. Mais il demeura irrésolu, et les chrétiens, à l’approche du grand-visir Mehmet-Rechid-Pacha, n’eurent à se prononcer qu’entre les beys musulmans indignes et le gouvernement de la Porte. Ils optèrent naturellement pour la Porte, qui ne pouvait exercer sur eux qu’une tyrannie lointaine. Le grand-visir, secondé par les armatoles thessaliennes et les klephtes grecs du Pinde, n’eut pas de peine à détruire les rebelles. Ces derniers d’ailleurs, loin de se rapprocher en face du danger, marchèrent les uns contre les autres. Arslan s’avança pour occuper les défilés de Metzovo, et séparer ainsi Janina de la Thessalie, d’où cette ville tire ses vivres. Veli, à cette nouvelle, courut pour le prévenir et sauver sa position ; mais Seliktar-Poda, en insurgeant les Toskes, le menaçait par derrière, et Veli pouvait être pris entre deux feux. Ses propres officiers ne lui cachaient pas leur sympathie pour Arslan, que tous regardaient comme le héros de la nation. Ils affichaient hautement leur