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s’allier avec les Turcs contre les phars épirotes. Bien différens des autres Albanais, les Mirdites n’ont de sympathie que pour les Francs ou les catholiques d’Occident, leurs coreligionnaires : à ceux-là seulement ils témoignent une confiance sans bornes ; aux autres chrétiens ils accordent à peine l’hospitalité pour une nuit. Cette fatale scission religieuse fait que, même réunis sous une bannière commune, les Mirdites et les Albanais schismatiques ne cessent de s’éviter et de se nuire. Durant la guerre contre les Grecs, ces haines intestines ont été funestes aux Chkipetars, dont elles ont plus d’une fois causé la déroute.

Unissant la ténacité slave à l’exaltation albanaise, les Mirdites ont fini par triompher de leurs rivaux, les Albanais hellénisés ; fort aujourd’hui d’au moins cent cinquante mille ames, ce petit peuple est devenu le nerf principal de l’Albanie, parce que, grace à la sévérité des mœurs, toutes les familles y étant à peu près également riches, également nombreuses, une démocratie unitaire et patriarcale est plus près de s’établir dans la Mirdita que dans le reste du pays. Mais ce serait pour leur ruine que les Mirdites s’obstineraient à tout attendre de l’Occident. Leur impuissance trop prouvée à former une nation particulière et distincte leur fait un devoir de se confédérer avec leurs voisins, qui autrement les asserviront tôt ou tard. Les Mirdites n’ont point d’ailleurs pour les Slaves l’absurde antipathie qui les éloigne des Grecs. Quoiqu’ils parlent toujours la langue chkipetare, le voisinage de la Bosnie et du Monténégro les a rendus à demi Slaves, et ils connaissent presque tous le dialecte ilirien. Malheureusement leurs missionnaires latins les poussent aujourd’hui à de fréquentes razzias contre les Slaves schismatiques. Autrefois, schismatiques et catholiques vivaient entre eux sur un pied beaucoup plus amical que dans notre siècle de lumières et de tolérance. Le père Lequien[1] raconte qu’en 1649 les évêques de Lissus et de Croïa, ayant réuni leurs diocésains, allèrent délivrer le Monténégro, bloqué par les Turcs, qu’ils taillèrent en pièces. Au fond, il y a entre les Mirdites et les Slaves iliriens de grands rapports de mœurs ; la langue actuelle des premiers semble même ne plus être qu’un mélange confus de slavon, de grec et d’italien. Le rite latin est l’unique motif de séparation entre eux et les Serbes. Or, la religion peut-elle long-temps être un sujet de discorde quand il s’agit de s’unir pour vivre libres ou de mourir par l’isolement ?

  1. Oriens christianus, à l’article Lissus oppidum (Alessio).