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TENDANCES NOUVELLES DE LA CHIMIE.

chimie. En science, toute modification profonde a son origine dans un mode nouveau d’observation ou d’expérimentation.

Tandis que Scheele, en Suède, et Priestley, en Angleterre, persévéraient dans la voie ouverte par le génie de Stahl, la France voyait s’élever dans son sein un de ces hommes dont une nation, dont le genre humain tout entier ont le droit de s’enorgueillir. Dès 1770, Lavoisier fait paraître son premier mémoire, et dans ce début d’un jeune homme de vingt-huit ans se révèle déjà une de ces idées qui remplissent toute une vie et changent la face d’une science. Il s’agit de savoir si, comme on l’a cru, l’eau jouit de la propriété de se changer en terre. Pour décider la question, Lavoisier ne se fie pas au témoignage de ses yeux. Il a recours à un instrument jusque-là négligé, à la balance. La notion de poids entre pour la première fois dans les considérations d’un chimiste. Par quelle filière de raisonnemens, Lavoisier a-t-il été conduit à employer ce nouveau réactif, si l’on peut s’exprimer ainsi ? Nous l’ignorons ; mais dès ce premier essai, comme dans tous les travaux de ce grand homme, on retrouve cette pensée, fondement de la chimie moderne : — Rien ne se perd, rien ne se crée dans la nature. Chaque changement d’état d’un corps tient à l’addition ou à la soustraction de quelqu’un de ses élémens. — Pendant treize ans, Lavoisier travaille, toujours guidé, dans le labyrinthe des expériences, par ce fil qu’il a saisi d’une main ferme. Aussi, tandis que Scheele et Priestley s’égarent d’autant plus que les résultats s’accumulent davantage autour d’eux, tandis qu’ils déclarent hautement que plus ils avancent dans la science, moins ils en comprennent les lois, nous voyons au contraire le chaos se dissiper devant cet émule qui sera bientôt leur vainqueur, les faits s’enchaîner et prendre place naturellement dans un cadre préparé d’avance ; et lorsqu’enfin, sûr de lui-même, Lavoisier se décide, en 1783, à attaquer en face la doctrine du phlogistique, un seul mémoire lui suffit pour l’anéantir à jamais.

Ce serait un magnifique tableau à dérouler que cet ensemble de recherches de toute espèce entreprises par Lavoisier, que cette série de travaux sans cesse dominés par l’idée mère et fondamentale. C’est avec un intérêt puissant qu’on voit ce génie, éminemment créateur, aux prises avec une théorie dont il sent toute l’insuffisance, ramasser un à un tous ses matériaux, et ne porter la hache sur l’ancien édifice que lorsqu’il est certain de pouvoir le remplacer par un nouveau monument. Ses mémoires portent tous ce double caractère ; il ne suffit pas de détruire, il faut encore édifier,