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disait : « Le mal dont nous nous plaignons n’a fait que s’accroître dans les dernières années, et je ne puis me dissimuler que la faute en est en grande partie au bill de réforme. C’est, du reste, le sort commun de toutes les grandes mesures de progrès. La réformation de l’église a engendré une classe de maux moraux inconnus au temps des Plantagenets, et la révolution, ce grand évènement qui a assuré notre liberté civile et religieuse, a donné naissance à des crimes que le règne des Stuarts n’avait jamais vus. C’est ainsi que le bill de réforme, tout en conférant au peuple de grands bienfaits, a produit de nouveaux et a aggravé d’anciens maux : il a balayé des abus, mais il a donné une nouvelle vie aux abus qu’il a épargnés. Il a tari certaines sources de corruption, mais le cours de celles qu’il n’a pas taries est devenu plus profond et plus impétueux que jamais. Il a détruit, ou du moins il a restreint dans d’étroites bornes, le vice des nominations directes, mais il a donné un nouvel élan au vice plus grand de l’intimidation, et cela au moment même où il conférait la franchise à des milliers d’hommes accessibles à l’intimidation. Il est impossible de fermer les yeux à l’évidence qui nous presse de toutes parts. »

Ainsi, l’intimidation et la corruption, voilà les deux grands vices des mœurs politiques de l’Angleterre ; vices profonds, incorrigibles, que les réformes accomplies ont laissés dans toute leur force, que de nouvelles réformes ne feraient qu’accroître encore, que les progrès de l’esprit public peuvent seuls effacer, et que le bras de la législation ne saurait atteindre, parce qu’ils se développent sous la protection et à l’ombre de la législation elle-même.

La réforme, en créant des milliers de petits électeurs, n’a fait que jeter une nouvelle pâture au sphinx dévorant de la corruption. Tout fermier de 1250 francs dans les comtés, tout locataire de 250 francs dans les villes, a été investi du droit de suffrage. Qu’arrive-t-il ? C’est que les grands propriétaires créent toute une population d’électeurs qui sont leurs sujets, leur bien, leur chose. Le duc de Buckingham, au lieu d’affermer ses terres en grand, les subdivise à l’infini et les afferme sans bail ; puis, quand viennent des élections générales, autant de fermiers, autant d’électeurs, autant de votes acquis, et tous ces législateurs indirects vont voter militairement sous la bannière de leur maître, sous peine d’expulsion. M. Sheil, dans son langage irlandais plein d’images, montrant un de ces malheureux électeurs au moment du vote, s’écriait : « Il voit d’un côté l’homme qu’il est habitué à regarder comme le libérateur de son pays, et il sent son