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LA TROISIÈME RELIGION DE LA CHINE.

populaire née d’une simple philosophie. Les sectateurs du tao sont à Lao-tseu ce qu’étaient à Platon certains enthousiastes et charlatans qui se vantaient, comme les tao-ssé, de prévoir l’avenir et d’enseigner les moyens d’acquérir l’immortalité. Seulement les sectaires d’Alexandrie n’eurent jamais d’importance et ne formèrent jamais un corps considérable comme les sectaires chinois. À cela près, on observe chez les uns et les autres la même différence entre des idées métaphysiques très abstraites chez les fondateurs et des imaginations grossières et matérielles chez les croyans. Pour mesurer cette différence, il est curieux de comparer le livre de Lao-tseu et le Traité des Récompenses et des Peines. Ce dernier ouvrage est attribué par les tao-ssé à Lao-tseu lui-même ; mais cette assertion est tout-à-fait insoutenable. Il y a évidemment plusieurs âges d’hommes et d’opinions entre les deux ouvrages ; il y a aussi loin de l’un à l’autre, littérairement parlant, que de l’Évangile à la Légende dorée.

Le Traité des Récompenses et des Peines se compose de préceptes d’une morale très pure. À propos de chacun de ces préceptes, les commentateurs ont recueilli des anecdotes parfois puériles, souvent touchantes, dans lesquelles sont racontées les récompenses ou les punitions miraculeuses qui ont été le partage des observateurs ou des infracteurs de la loi. Si l’on est peu fondé à comparer les idées tout orientales, tout indiennes de Lao-tseu avec les dogmes chrétiens, on peut signaler quelques rapports assez frappans, et qui n’excluent pas de notables différences entre la morale des tao-ssé et la morale contenue dans l’ancien ou le nouveau Testament. Les solutions métaphysiques et les conceptions théologiques, bien que condamnées à tourner dans un cercle assez étroit, sont encore plus variées que les préceptes et les inspirations morales. Les hommes diffèrent plus par la pensée que par le cœur.

La longévité est la récompense le plus ordinairement promise à la vertu chez les tao-ssé comme elle l’était chez les Hébreux. — Honorez votre père et votre mère, afin de vivre longuement, dit le livre des Récompenses et des Peines, relatant sans cesse les prolongations d’existence accordées à ceux qui ont bien vécu et les retranchemens d’années et de jours destinés à punir les méchans. L’idée de l’immortalité arrive elle-même comme à la suite de l’idée de longévité. Si les bonnes actions sont suffisamment nombreuses, la vie finira par se prolonger et s’allonger indéfiniment ; enfin l’on deviendra immortel. Tel est l’enchaînement par lequel on parvient ici à cette notion sublime de l’immortalité, vers laquelle la pensée humaine a toujours