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verné. » En isolant cette phrase, on dirait que Lao-tseu a deviné notre axiome de gouvernement constitutionnel : le roi ne gouverne pas. La pensée de Lao-tseu est que le bien s’opère de lui-même par une secrète influence de la vertu du tao, et non par une action directe de l’homme sur l’homme. « Le sage, dit-il, est comme l’eau ; l’eau excelle à faire du bien aux êtres et ne lutte point. Il ne lutte point. C’est pourquoi il n’y a personne dans l’empire qui puisse lutter contre lui. » De là le non-agir donné comme le seul moyen de devenir maître de l’empire. De là aussi ce singulier axiome de politique pratique : « L’empire est comme un vase divin auquel l’homme ne doit pas travailler. »

Toujours ce principe, que l’action humaine trouble la nature des choses. Il faut se conformer à cette nature, s’unir à son principe, s’y assortir. C’est ce que Lao-tseu appelle pratiquer le non-agir, si l’on fait ainsi. Le peuple est attiré invinciblement à imiter l’exemple de son roi ; il se modifie et s’améliore de lui-même.

Cette quiétude doit s’étendre du roi au peuple. De là ces préceptes d’une singulière politique. « Le sage qui gouverne s’étudie constamment à rendre le peuple ignorant et exempt de désirs. Il fait en sorte que ceux qui ont du savoir n’osent pas agir. » Ces maximes, révoltantes en elles-mêmes, ne sont qu’une application du principe général de la philosophie de Lao-tseu. Le peuple ne peut se plaindre d’être traité plus mal que le sage, dont la perfection est placée également dans l’ignorance et l’inaction.

Cette théorie politique, si différente des nôtres, s’en rapproche pourtant par certains côtés. L’inégalité des castes et des races a toujours été une idée étrangère à la Chine. Lao-tseu exprime avec assez d’énergie ce principe tout occidental, et je dirais presque tout révolutionnaire, que ceux qui gouvernent ne valent que par le peuple d’où ils sortent et qu’ils représentent. À l’occasion de ces paroles, « les nobles regardent la roture comme leur origine, les hommes élevés regardent la bassesse de la condition comme leur premier fondement, » un commentateur dit : « Dans l’ordre de la nature, les grands vassaux et les rois sont de la même espèce que l’humble homme du peuple. » Un autre interprète ainsi ces paroles énigmatiques de Lao-tseu, si vous décomposez un char, vous n’avez plus de char : « C’est la réunion et l’ensemble du peuple qui forment un prince ou un roi. Prince ou roi sont des noms collectifs du peuple. Si vous faites abstraction du peuple, il n’y aura plus ni prince ni roi. »

La Chine est un pays essentiellement traditionnel, la société y