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LA TROISIÈME RELIGION DE LA CHINE.

repose sur la famille. Tout s’y fait par continuation et transmission. Les idées s’y produisent toujours comme un développement d’idées plus anciennes. Ailleurs, souvent on prétend innover quand l’on répète, là on prétend répéter même quand on innove. Confucius, en établissant sa doctrine, affirmait ne faire autre chose qu’exposer l’ancienne doctrine des Kings, il trouvait les préceptes moraux et politiques qu’il désirait faire prévaloir dans les signes mystérieux de l’Y-king et dans les chants populaires de l’antiquité ; toutes les philosophies chinoises les plus diverses dans leur résultat, depuis le mysticisme contemplatif jusqu’au grossier matérialisme, emploient les mêmes expressions et les mêmes formules fournies par la tradition, qu’elles se bornent à interpréter et à commenter diversement. Confucius a aussi un tao, mais c’est un tao pratique. C’est la voie morale et politique, tandis que chez Lao-tseu, la voie est la porte mystérieuse par laquelle les êtres entrent dans le monde. Rien de plus différent pour l’idée, mais l’expression est semblable. Comme Confucius, Lao-tseu en appelle à l’antiquité. Il parle souvent de ce qu’étaient dans les temps anciens ceux qui excellaient à pratiquer le tao, il invoque des maximes antiques qu’il développe dans le sens de sa doctrine ; car Lao-tseu prétend aussi bien que Confucius s’appuyer sur la tradition et les vieux usages. Dans un énergique passage contre la guerre, il cite, à l’appui de la condamnation qu’il en porte, le cérémonial d’après lequel on place le général en chef selon le rite des funérailles, c’est-à-dire à gauche, du côté consacré à la mort. Et à ce sujet, le plus ancien des commentateurs de Lao-tseu rapporte ce fait remarquable : « Dans l’antiquité, quand un général avait remporté la victoire, il prenait le deuil ; il se mettait dans le temple à la place de celui qui préside aux rites funèbres, et, vêtu de vêtemens noirs, il pleurait et poussait des sanglots. »

On ne saurait s’étonner qu’une doctrine qui répugne à l’action proscrive la guerre. Lao-tseu la réprouve formellement. « Les armes les plus excellentes sont des instrumens de malheur ; ce ne sont point les instrumens du sage, il ne s’en sert que lorsqu’il ne peut s’en dispenser ; il met au premier rang le calme et le repos ; s’il triomphe, il ne s’en réjouit pas ; s’en réjouir, c’est aimer à tuer les hommes ; celui qui aime à tuer les hommes ne peut réussir à régner sur l’empire. » En ce point comme en plusieurs autres, partant de principes fort différens, Lao-tseu et Confucius arrivent aux mêmes conclusions : la glorification de la paix, trait commun à leur