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qu’on le gardât sans l’ensevelir. Cependant l’enfant paroissoit mort, il n’avoit ny pouls, ny sentiment : il devenoit froid et avoit toutes les marques de mort. On se moquoit de la crédulité de mon grand-père, qui n’avoit pas accoutumé de croire à ces gens-là.

« On le garda donc ainsi, mon grand-père, ma grand’mère toujours présens, et ne voulant s’en fier à personne. Ils entendirent, la nuit, sonner toutes les heures et minuit aussi, sans que l’enfant revînt. Enfin, entre minuit et une heure, plus prez d’une heure que de minuit, l’enfant commença à bâiller. Cela surprit extraordinairement. On le prit, on le réchauffa, on luy donna du vin et du sucre ; il l’avala. Ensuite la nourrice luy présenta le téton qu’il prit, sans donner néanmoins de marque de connoissance et sans ouvrir les yeux. Cela dura jusqu’à six heures du matin, qu’il commença à ouvrir les yeux et à connoître quelqu’un. Alors, voyant son père et sa mère l’un prez de l’autre, il se mit à crier comme il avoit accoutumé : cela fit voir qu’il n’étoit pas encore guéri, mais on fut au moins consolé de ce qu’il n’étoit pas mort. Environ six ou sept jours après, il commença à souffrir la vue de l’eau. Mon grand-père, arrivant de la messe, le trouva qu’il se divertissait à verser de l’eau d’un verre dans un autre entre les bras de sa mère. Il voulut s’approcher, mais l’enfant ne le put souffrir ; peu de temps après il le souffrit, et en trois semaines de temps cet enfant fut entièrement guéri et revint dans son embonpoint. »

Au reste, quelque singulier que cela paraisse, ce n’est pas là un fait isolé. À Port-Royal, on croyait aux sorciers. Dans le Recueil de pièces pour servir à l’Histoire de Port-Royal, on trouve le récit que M. de Bascle, qui fut le troisième solitaire de Port-Royal-des-Champs, fit, en 1653, de la mort de trois de ses frères tués, disait-il, par une sorcière qui descendait dans leur chambre par le tuyau de la cheminée, et qui avait besoin de la graisse de ces enfans pour faire quelque charme de son métier. Moins heureuse que celle qui avait eu affaire au père de Pascal, cette autre sorcière fut brûlée. Dieu (c’est Port-Royal qui parle) permit qu’elle fut prise et exécutée. Comment s’étonner, après cela, des visions de Pascal et des apparitions ou des miracles si fréquens à Port-Royal ?

Nous avons dit que, dans la diversité des jugemens qui ont été portés sur Pascal, on avait tenté récemment de diminuer son mérite comme géomètre et comme penseur. Ce n’est pas chez les hommes de science, chez les juges compétens, que cette opinion a pris naissance, car, excepté peut-être Condorcet, qui, dominé par Vol-