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HISTOIRE DU DIABLE.

mier triomphe, l’éternel ennemi épia toutes les occasions d’intervenir, pour le mal, dans les affaires de ce monde. Sous le nom de Beelzébuth, de Baal, de Belphégor, d’Adramélec, il disputa au vrai Dieu l’adoration des peuples ; à Babylone, il prit la forme d’un dragon vivant, pour se faire rendre un culte ; mais, le prophète Daniel lui ayant jeté une boulette vénéneuse, il la mangea sottement et mourut empoisonné. Job et Sara eurent, entre tous, chez le peuple juif, à souffrir de sa haine. Il fit tomber le feu du ciel sur les troupeaux de Job, et déchaîna l’ouragan contre sa maison. Il étrangla dans la chambre nuptiale les sept premiers maris de Sara. Chose vraiment singulière ! dans ces occurrences fatales, il n’a jamais agi qu’avec la permission de Dieu. Pourquoi Dieu lui donnait-il la permission d’agir ? Nous traversons, dans cette histoire, le mystère et l’inconnu ; je raconte sans chercher à deviner, et ne garantis que l’exactitude des citations.

Le monde, soumis par la femme au douloureux servage du démon, devait se racheter par l’œuvre de la femme. Le Christ annonce à la terre que sa mère a écrasé la tête de l’antique serpent. Le diable alors, comme un roi qu’on veut détrôner, s’arme de toute son audace et de toutes ses ruses pour disputer l’empire. Il essaie, mais en vain, de faire sa proie du dieu qui sera bientôt la proie de la mort ; il essaie même de le tenter, comme plus tard il tentera les hommes, par la richesse et le pouvoir. Cette lutte impie tourne à sa honte. Le dieu voilé sous la chair resplendit bientôt d’un immortel éclat. Satan, ébloui, vaincu, rentre dans l’abîme en criant : Ô Jésus de Nazareth, tu es venu pour me perdre ! Mais il ne tarde pas à remonter sur la terre afin de défendre, par un dernier et redoutable effort, tous les autels du monde païen qui s’écroulent. Apollon avait quitté Delphes ; Balaam s’était exilé de ses temples ; Anubis avait cessé d’aboyer, Apis de mugir. Satan se ligue avec tous ces vaincus du passé contre le vainqueur de l’avenir, et ranime d’une vie factice leurs idoles mourantes, comme plus tard il ranimera les cadavres. Lutte obstinée et dans laquelle il remporte plus d’une triste victoire ! Les sataniens se détachant du Christ, choisissent le démon pour leur dieu. Les messaliens se croient appelés à soutenir contre l’ange déchu un combat sans repos, et passent leur vie dans l’attitude d’un archer prêt à lancer la flèche contre l’ennemi qui le menace. Au Ve siècle encore, Salvien, affligé de la résistance prolongée du polythéisme, s’écriait tristement : Le démon est partout (ubique dæmon) ; car il avait cru, avec saint Augustin, avec l’église primitive, reconnaître les anges de l’abîme dans les trente mille dieux de la Grèce et de Rome, et retrouver sous les impuretés du culte des idoles toutes les souillures de l’esprit immonde.

Dans l’église d’Orient, pendant la lutte de la foi nouvelle et des antiques croyances, le plus redoutable ennemi des chrétiens, ce n’est pas César, c’est le démon. L’empereur oublie les anachorètes dans la Thébaïde ; mais l’éternel ennemi du monde invisible les poursuit encore au fond de la solitude. Il afflige leur ame par le regret, par le désir, le remords, qui fait désespérer de la bonté de Dieu, et cette tristesse infinie, accedia, qui est comme le spleen des