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HISTOIRE DU DIABLE.

au contraire, s’égara dans des pratiques obscures où s’éteignirent les dernières lueurs de la raison ; elle prescrivit comme remède souverain d’accrocher de la valériane dans la maison du possédé, ou d’en arroser le seuil avec le sang d’un chien noir, et ces rites absurdes furent adoptés de préférence, parce qu’il est plus facile en effet de pendre de l’herbe à un clou ou de tuer un chien, que de s’élever à l’austère immolation commandée par le christianisme.

À toutes les époques, le diable des possessions se produit dans des conditions pareilles. En Égypte ou en France, dans la grotte de saint Antoine ou dans l’église de Notre-Dame-de-Laon, sous le règne de Néron ou le règne de Henri IV, qu’il parle grec ou français, ce proscrit de l’abîme est toujours insolent, railleur et goguenard ; il accable de ses sarcasmes, de ses bravades cyniques, l’église, les saints, les prêtres, le Christ même. On reconnaît là ce procédé indirect de satire, qui est familier au moyen-âge, ces allusions détournées dont la responsabilité se dérobe et ne revient à personne. Quand les impies craignent l’anathème ou le bûcher, Satan se fait en quelque sorte l’éditeur insaisissable de toutes les impiétés. Voici deux exemples pris au hasard à des dates extrêmes. — On présenta un jour à saint Antoine un jeune homme possédé qui écumait comme une bête fauve, et déchirait à coups de dents ceux qui osaient l’approcher. Le saint se mit en prière et dit au démon : Sors de cet homme. — Vieux radoteur, reprit Satan, vieux gourmand, vieux paresseux, moine fainéant qu’on ne saurait rassasier, qui t’a donné le droit de me tyranniser ainsi ? Je ne sortirai pas. — Le saint prit sa peau de mouton, et, frappant le dos du possédé : Sors donc, puisque je le veux. Le diable alors se mit à crier, à blasphémer, à rire. — Eh bien ! reprit le saint, puisque tu refuses d’obéir, je vais le dire à Jésus-Christ. Et, s’éloignant aussitôt, il fut s’agenouiller au sommet d’une montagne, sous les feux d’un soleil plus ardent que les flammes de la fournaise. Immobile comme une pierre, il fit vœu de rester là sans boire et sans manger jusqu’à ce que Dieu eût ordonné à l’esprit malin de lâcher sa victime. L’ordre ne se fit pas attendre, car Dieu aimait trop saint Antoine pour le désobliger, et on vit bientôt Satan, sous la forme d’un dragon long de soixante-dix coudées, sortir par la bouche de l’énergumène, et se traîner en rampant vers la mer Rouge. Ses écailles sonnaient sur les rocs calcinés comme des larmes d’airain.

Ici du moins il y a encore quelque trait de drame ; mais, en approchant de nos jours, la possession n’est plus qu’une parade bouffonne. Satan abdique toute réserve ; c’est l’arlequin italien, le paillasse de la foire. Je cite mes textes[1].

Le jour des trépassés de l’an 1565, Nicole Obry, de Vervins, près Laon, alla prier sur le tombeau de sa famille. Un spectre, sous la forme d’un homme enseveli, se dressa devant elle et lui dit : Je suis ton grand-père, mort sans confession, et je viens te demander des messes pour le repos de mon ame. Le spectre reparut plusieurs jours de suite, et la jeune fille, que cette appari-

  1. Boulaize, Trésor de la victoire du corps de Dieu.