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conclus avec Satan ; en vain d’un même tison elle allume le bûcher de l’hérétique et le bûcher du sorcier : cette réprobation même ajoute à l’erreur une consécration nouvelle ; les stadingiens et les vaudois confessent devant la torture catholique les mystères du sabbat, comme les catéchumènes avaient confessé en face des bourreaux païens les mystères des catacombes. Le rêve persiste devant la réalité des supplices, et l’impiété, la folie, comme la foi, ont leur martyrologe.

Maintenant fermons le grimoire : vade retro, Satanas, et qu’une dernière et moins sombre évocation fasse apparaître devant nous tous les collatéraux du diable, gracieux fantômes, lutins, fées, sylphes et follets, génération amoindrie et raffinée des vieux démons chrétiens, qui mêle aux traditions de ces maîtres redoutables les souvenirs de la mythologie païenne et les légendes du monde scandinave. — Dans ce royaume des fictions dont elles partagent le sceptre avec Arthur et Merlin, les fées n’exercent qu’une aimable puissance. Reines folâtres et capricieuses, elles portent pour sceptre une baguette d’ivoire, et quand le printemps ramène les beaux jours, les jours harmonieux tout chargés de frais désirs, elles parcourent les plaines limpides de l’air dans une coquille de nacre traînée par des papillons. Tout ce qui s’épanouit, sourit et chante, les fleurs, les femmes et les oiseaux, les charme et les attire. Aux heures étoilées de la nuit, elles éveillent les brises légères qui bercent les nids sous le feuillage ; elles sèment sur les feuilles des lis, des perles liquides, ou portent aux vierges, plus blanches que les lis, les premiers rêves d’amour. On les a vues souvent, aux noces des châtelaines ou au baptême de leur premier-né, chanter et dire des vers, car elles aiment la musique et la poésie, et, seules parmi les nombreux sujets du monde fantastique, elles cultivent les arts et les lettres. Mais hélas ! ces fées bienveillantes, dont le pouvoir ne se révèle que par des actes gracieux, sont assujetties, comme l’homme, aux lois de la mort. Satan, qui vit pour le mal, est immortel ; les fées, qui vivent pour le bien, ne comptent que des jours rapides et bornés sur la terre qu’elles consolent. Elles subissent ainsi la destinée commune, et, comme les plus belles choses, elles brillent l’espace d’un matin, pareilles à ces palais, frêles monumens de leurs caprices, qui s’évaporent comme une bulle d’eau sous un rayon de soleil. Heureusement, pour les fées comme pour l’homme, tout ne finit pas à la tombe, et elles ont aussi leur paradis, qui est situé au pays d’Avallon.

Non, vous n’avez point péri tout entiers dans le naufrage du vieux monde, pénates protecteurs du foyer, divinités champêtres qui descendiez des Apennins pour soigner les chevreaux d’Horace ! Dans ce moyen-âge qui a brisé vos autels, je vous retrouve vivans encore, sous des noms nouveaux, dans les bois, au bord des fleuves, au fond des antres sonores. Les esprits élémentaires de la cabale ont recueilli l’héritage de ces dieux antiques, qui étaient comme la riante personnification des forces productives de la nature. Les sylphes, descendans directs des satyres et des sylvains, peuplent la solitude des bois et des vallons, et, le long des sentiers fleuris, ils agacent les jeunes