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HISTOIRE DU DIABLE.

filles, comme leurs aïeux lascifs agaçaient les nymphes. Les ondines se sont couchées sur les lits de joncs des naïades, au bord des sources, leurs frais royaumes. Les alastors veillent sur les chemins, les gnomes sur les vallons. Chaque peuple, chaque contrée, chaque village a son esprit familier, comme dans les jours antiques chaque foyer avait son dieu. En Allemagne, le démon de Socrate se change en follet ; en Écosse, il se change en gobelin ; et là, comme le dit un conteur dont la plume est une véritable baguette de sorcier, « sa vie mystérieuse est liée à la cabane du pâtre ; il habite, dans l’âtre domestique, les pans couverts de suie de la cheminée, et les fentes de la muraille, à côté de la cellule harmonieuse du grillon. » Doux et serviable, mais capricieux comme un enfant gâté, le follet trait les vaches à l’étable, garde les troupeaux dans les montagnes, ou glane, pour la famille qu’il protége, les épis oubliés dans les champs. En Allemagne, il va, dans les forêts aider les bûcherons à tailler les vieux arbres qui résistent à la hache ; il va dans les mines, les bras nus et le tablier de cuir serré autour des reins, tourner la grue avec les mineurs et les défendre contre le génie aux flammes bleuâtres qui veille dans les gouffres éternels. Non moins complaisant que cet esprit romain qui venait la nuit raser et coiffer, chez Pline-le-Jeune, l’affranchi Marcus, le follet se charge des plus humbles soins de la maison, et descend avec complaisance de la poésie à la prose.

Cette rêveuse Allemagne, qui se berce avec amour des récits des vieux temps, a gardé dans ses annales la mémoire et les noms de ces esprits qui venaient, dans un autre âge, visiter ses blonds enfans. Elle se rappelle encore Heidekind, le lutin de l’archevêque, qui éplucha pendant trente ans les légumes du dîner épiscopal : elle se rappelle ce démon qui, sous la forme d’un jeune page, s’attacha pendant dix ans, en qualité d’écuyer, au service d’un baron. Jamais, sur les bords du Rhin, dans les vieilles salles des châteaux, page ou servant d’armes ne se montra plus fidèle et plus empressé. Quand le baron partait pour la chasse, le lutin tenait l’étrier et serrait la bride au cheval rétif. Quand le baron marchait à la guerre, le lutin marchait devant lui pour éclairer la route ; c’était l’amour de Kaled pour Lara. Un jour, la femme du chevalier tomba malade, et le lutin la frotta d’un onguent qui lui rendit à l’instant même la fraîcheur de la santé. « Qui donc es-tu, demanda le baron tout ému de reconnaissance, toi qui as rappelé de la mort la femme que Dieu m’a donnée pour compagne ? — Je suis un démon. » Le chevalier fit le signe de la croix. Le lutin sourit et ajouta : — Rassurez-vous, le seul bonheur qui me reste est d’habiter avec les hommes, et de leur être utile. — Ange ou démon, reprit le chevalier, qui que tu sois, je te dois une récompense, et je t’offre la moitié de mes biens. — Gardez vos biens, mais donnez-moi cinq sols. — Cinq sols, dit le chevalier tout étonné, et que veux-tu faire d’une pareille somme ? — Je veux, répondit le lutin, acheter une petite cloche, et la placer dans cette pauvre église pour appeler les fidèles à l’office du dimanche. — Le chevalier donna les cinq sols, et le démon acheta sa cloche. — Je sais encore sur ces hôtes mystérieux de longues et bizarres histoires ; mais qui