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LE CIRQUE ET LE THÉÂTRE.

posés à défendre contre tous. Ils possèdent une certaine grace féroce, une certaine allure insolemment cambrée qui leur est toute particulière. — En essuyant leur fard, ils pourraient faire d’excellens banderilleros, et sauter des planches du théâtre sur le sable de l’arène.

La malagueña, danse locale de Malaga, est vraiment d’une poésie charmante. Le cavalier paraît d’abord, le sombrero sur les yeux, embossé dans sa cape écarlate comme un hidalgo qui se promène et cherche les aventures. La dame entre, drapée dans sa mantille, son éventail à la main, avec les façons d’une femme qui va faire un tour à l’Alameda. Le cavalier tâche de voir la figure de cette mystérieuse syrène ; mais la coquette manœuvre si bien de l’éventail, l’ouvre et le ferme si à propos, le tourne et le retourne si promptement à la hauteur de son joli visage, que le galant, désappointé, recule de quelques pas et s’avise d’un autre stratagème. Il fait parler des castagnettes sous son manteau. À ce bruit, la dame prête l’oreille ; elle sourit, son sein palpite, la pointe de son petit pied de satin marque la mesure malgré elle ; elle jette son éventail, sa mantille, et paraît en folle toilette de danseuse, étincelante de paillettes et de clinquans, une rose dans les cheveux, un grand peigne d’écaille sur la tête. Le cavalier se débarrasse de son masque et de sa cape, et tous deux exécutent un pas d’une originalité délicieuse.

En m’en revenant le long de la mer, qui réfléchissait dans son miroir d’acier bruni le pale visage de la lune, je songeais à ce contraste si frappant de la foule du cirque et de la solitude du théâtre, de cet empressement de la multitude pour le fait brutal et de son indifférence aux spéculations de l’esprit. Poète, je me mis à envier le gladiateur ; je regrettai d’avoir quitté l’action pour la rêverie. La veille, au même théâtre, l’on avait joué une pièce de Lope de Vega qui n’avait pas attiré plus de monde que l’œuvre du jeune écrivain : ainsi le génie antique et le talent moderne ne valent pas un coup d’épée de Montès !

Les autres théâtres d’Espagne ne sont d’ailleurs guère plus suivis que celui de Malaga, pas même le théâtre del Principe de Madrid, où se trouve cependant un bien grand acteur, Julian Romea, et une excellente actrice, Matilde Diez. L’antique veine dramatique espagnole semble être tarie sans retour, et pourtant jamais fleuve n’a coulé à plus larges flots dans un lit plus vaste ; jamais il n’y eut fécondité plus prodigieuse, plus inépuisable. Nos vaudevillistes les plus abondans sont encore loin de Lope de Vega, qui n’avait pas de col-