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étang, coupé un canal, bâti un pont, si ce n’est pour le passage des troupes ; encore c’est ordinairement un ouvrage si éphémère, que l’année suivante il faut remettre la main à l’œuvre. Les travaux des Hindous, comme ceux des Romains, étaient gigantesques et semblaient faits pour l’éternité ; ceux des Anglais portent un cachet de mesquinerie presque général ; les seules routes qu’on ait tracées sont celles de Bombay et de Calcutta, qui viennent se joindre à Delhi ; elles sont impraticables pour les voitures dans la saison des pluies, parce qu’elles ne sont ferrées qu’en partie.

Quant à ces écoles anglaises établies à Calcutta, Madras, Bombay, Agra, Dehli, Benarès, où les fils des babous (riches hindous) et des sercars (courtiers) envoient seuls leurs enfans, elles sont ordinairement plus nuisibles qu’utiles et ne servent qu’à former des écrivains pour les bureaux et cours de justice, ou des pédans qui deviennent une plaie pour leurs compatriotes. Les élémens d’instruction qu’on y enseigne sont la grammaire, le latin et une géographie tronquée. À quoi ont abouti toutes ces missions, ces écoles anabaptistes, luthériennes ou catholiques ? Uniquement à faire connaître leur impuissance. Ce n’est qu’après avoir amélioré la position physique de l’individu qu’on devrait s’occuper de sa position morale ; l’homme qui a faim, qui a froid, qui souffre, réclame avant tout des alimens, des vêtemens, ou les moyens de s’en procurer. Dans une contrée où il y a tant de malheureux, on chercherait en vain un seul hôpital civil, un seul bureau de bienfaisance ; il n’y a que les soldats et les employés du gouvernement qui aient droit à sa charité ou à ses bienfaits. L’influence tant vantée des missions est nulle ; elles n’ont d’autres prosélytes que des enfans sans parens que les missionnaires achètent en bas âge, et qui plus tard retournent tous à la religion de leurs compatriotes. Il faut le dire aussi, les sectateurs du Christ ne sont guère plus charitables, plus humbles, que les disciples de Brahma, de Confucius ou de Mahomet ? À quoi bon prêcher l’abstinence à des hommes dont les pénitences sont si terribles qu’elles auraient peut-être effrayé nos premiers martyrs ? Sont-ils bien venus à prêcher l’humilité à de pareils hommes, ceux à qui il faut des palais, des palanquins, des voitures et de nombreux domestiques ? J’ai assisté au service divin dans les temples de Sérampour, de Benarès, de Loudiana, de Delhi, de Simlah ; il n’y avait là aucune oreille hindoue pour recueillir la parole du Seigneur, aucune voix pour interrompre celle de l’officiant, si ce n’est l’écho de ces voûtes. On prêchait dans le désert.