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pagnons dans les premières années de notre vie. Malheureusement, quand arrive la jeunesse avec les bruyantes distractions qu’elle nous apporte, avec les emportemens d’amour qu’elle met dans notre sein pour tant d’objets séduisans et nouveaux, ils deviennent, ces immortels poètes, semblables à d’humbles amis d’enfance : on a pour eux quelques accès de tendresse suivis bien vite d’un long oubli ; mais enfin leurs divins entretiens n’ont pas été entièrement perdus, il en est resté quelque chose, et si par hasard il vous prend fantaisie de revenir à eux, ils vous tiennent toujours ouverts leurs trésors de beau langage et de nobles pensées. Les femmes n’ont jamais eu ces amitiés salutaires ; je crois donc qu’il y a des sources de poésie qu’elles peuvent deviner, car il n’est rien qu’elles ne devinent, mais dont elles ne peuvent pas jouir.

Sans doute, Mme Desbordes-Valmore se dit qu’elle pouvait aussi bien se passer de Virgile que s’en était passée Mme Deshoulières. Les idylles de Mme Deshoulières sont bien loin d’être des œuvres accomplies ; mais elles ont, comme celles de Fontenelle, un charme romanesque et un tour galant que Mme Desbordes-Valmore ne pouvait pas reproduire, parce que ce sont des mérites qui tiennent tout entiers au temps où elles ont paru. La différence de grace qui existe entre les costumes de la fronde et ceux de l’empire se trouve entre les églogues qu’inspirèrent de tendres réminiscences de Mlle de Scudéry et celles qui furent composées sous l’influence de Mme Dufrénoy. S’il y a inégalité de talent et surtout de bonheur dans la forme entre la femme poète du temps de Louis XIV et la femme poète du temps de l’empire, il faut convenir que pour le fond l’égalité se rétablit entre elles. Il y a chez l’une et chez l’autre même absence de fortes études, non-seulement de celles qui se font sur les livres, mais aussi de celles qu’une ame vigoureusement trempée fait en face d’un orme ou d’un chêne. Il y a même sensibilité sans direction et sans but, enfin il y a même faiblesse ; or, la faiblesse est une grace pour la femme partout, excepté dans ses écrits.

Après l’idylle, Mme Desbordes-Valmore aborda l’élégie ; c’est là le genre de poésie qu’elle semble avoir le plus aimé. Il y a deux sortes d’élégies. L’une est celle dont Properce et Tibulle nous ont laissé les modèles, le véritable chant d’amour tel que les baisers l’éveillent au fond du cœur et le font venir sur les lèvres, le chant qui ne cherche à traduire que la volupté, qui ne porte pas à l’ame d’autres pensées que celles de ses désirs et de ses jouissances, qui n’a point d’autres langueurs que ses langueurs divines, enfin l’élégie antique et